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Le néo-gothisme ou mythe néo-wisigothique est la « représentation selon laquelle les royaumes astur-léonais puis castillano-léonais doivent être considérés comme les successeurs légitimes du royaume wisigothique »'. Il s'agit d'une doctrine qui fonde le programme idéologique des royaumes chrétiens du Nord péninsulaire, un programme de restauration d'un passé mythifié, un programme de « reconquête » du territoire, des grandes institutions wisigothiques et de la doctrine isidorienne de la royauté. Ce mythe n'a eu de cesse d'être étudié - je citerai seulement la récente thèse de Thomas Deswarte2. Cependant, les différents travaux existants se concentrent plus particulièrement sur les VIIIe-XIe siècles et surtout sur les chroniques asturiennes rédigées sous Alphonse III. La Chronica naiarensis3, composée durant l'avant-dernière décennie du XIIe siècle, refond la tradition historiographique astur-léonaise ; mais si le chroniqueur assemble et unifie sous son « autorité » ce matériau historique, son œuvre dépend néanmoins de son époque, qui connaît une ascendance politique du royaume de Castille, alors séparé du royaume de Leon. Elle dépend également de l'héritage politico-culturel que le chroniqueur reçoit. Celui-ci n'est donc pas un simple compilateur mais un véritable « historien »4qui choisit ses sources et insère des interpolations personnelles qui ont permis aux chercheurs de démontrer les visées pro-castillanes de cette chronique dont le but semble être de légitimer l'ascension politique grandissante de la Castille. La Chronica naiarensis marque donc un tournant dans l'écriture historiographique puisqu'elle est la première chronique royale proprement castillane. Alors que la Chronica naiarensis compile les chroniques isidoriennes, asturiennes et léonaises qui la précèdent et qui développent une doctrine néo-gothique mais pro-léonaise, il convient de se demander comment cette chronique renouvelle le néo-gothisme, comment le discours du chroniqueur y devient un acte de propagande, et même un acte de fondation du comté, puis du royaume de Castille5. L'auteur6 de la Chronica naiarensis divise l'histoire hispanique en trois grandes époques7. Cette division est propre à cette chronique. Afin de comprendre la doctrine qui domine - doctrine qui ferait de ce royaume de Castille le légitime successeur de l'Hispanie wisigothique -, j'adopterai le plan chronologique de ce texte : de la perte de l'Hispanie wisigothique à la restauration astur-léonaise pour finir sur le livre III de la chronique, dans lequel semble s'accentuer un néo-gothisme davantage castillan.
La perte de l'Hispanie, royaume wisigothique, selon la Chronica naiarensis
Ma première partie sera l'occasion de rappeler des concepts et faits importants pour l'étude de l'« idéologie » de restauration néo-wisigothique. Le concept d'Hispanie est discutable8, j'en préciserai les contours et rappellerai succinctement les causes de la « perte de l'Espagne ».
L'Hispanie dans le livre I de la Chronica naiarensis La Chronica naiarensis est tout d'abord une histoire universelle et se fonde sur la Chronica de saint Isidore de Séville mais elle se fait ensuite histoire nationale et hispanique et recopie l'Histoire des Goths du saint confesseur. Elle devient proprement hispanique avec la louange des Goths (I, § 157) qui occupent l'Hispanie romaine et élisent leur roi. Le livre I de la Chronique définit la doctrine hispanique wisigothique de la royauté : l'Hispanie y est conçue selon la définition que saint Isidore, dans ses Étymologies et ses Sentences, donne de la patrie9. cette « entité constituée par le territoire [regnum] et le peuple < wisigoth > [gens], que le roi [rex] gouverne et personnifie »10. Suzanne Teillet11 a examiné ce concept isidorien de la patrie, de la nation wisigothique : C'est l'union des termes rex, gens, patria qui définit la notion de nation hispano-gothique dans l'œuvre d'Isidore de Séville. C'est donc l'Espagne, si précoce dans la conceptualisation de son statut historico-politique qui est la plus apte à se prêter à l'étude du passage de l'idée d'empire à celle de nation. [...] En considérant l'évolution qui conduit l'Espagne, envahie puis occupée par les Goths, du rex Gothorum barbare au princeps médiéval, des gentes ou ethnies barbares à la gens politiquement structurée, des sedes nomades à la patria d'un regnum stabilisé sur un endroit défini, en l'occurrence l'Espagne, nous pourrons assister à la conversion d'une « nation barbare », entendue au sens romain négatif du mot à l'époque impériale tardive, en une « nation » de l'Europe moderne. Ce concept de l'Hispanie wisigothique se concrétise donc grâce à l'union d'un territoire et d'un peuple12, mais également grâce à l'union du politique et du religieux et culmine lors de la conversion de Récarède (I §188)13. L'Église s'impose alors au niveau politique : par l'intermédiaire des évêques, elle inspire une doctrine du prince chrétien, proclame l'unité de la gens au lendemain de la conversion des Wisigoths au catholicisme et exalte la patrie comme la terre des saints d'Espagne. Enfin, et puisque la nation wisigothique est d'emblée définie comme une nation guerrière14, il convient de rappeler le rôle de l'armée (exercitus) dans la conservation du territoire (regnum) et dans la protection de la gens, du rex, et de l'Ecclesia. Ce bref aperçu de la conception isidorienne de l'Hispanie qui se fonde, en théorie, sur un pouvoir royal fort et chrétien, établit donc les grandes institutions du royaume wisigothique (rex, patria, gens, Ecclesia, sans oublier l'exercitus) - institutions qui s'effondrent en 711. Au moment de rapporter la chute du royaume wisigothique d'Espagne et d'en exposer les causes, la Chronica naiarensis semble toujours être la simple compilation de plusieurs chroniques puisque l'auteur insère la version Rotense de La Chronique d'Alphonse III15, version considérée comme la plus fiable des chroniques asturiennes.
Les causes de la perte de l'Espagne De même que la Chronique d'Alphonse III-Rotense, la Chronica naiarensis interprète la défaite de 711 et Covadonga selon le schéma providentiel étudié par Thomas Deswarte : « infidélité / châtiment de Dieu, miséricorde / bénédiction divine »16. À la suite de saint Augustin d'Hippone dans la Cité de Dieu11, saint Grégoire le Grand puis saint Isidore fondèrent leur doctrine du pouvoir sur ce providentialisme, c'est-à-dire sur cette croyance dans le sage gouvernement de Dieu18. Ainsi c'est la Providence qui impose aux péchés des derniers rois wisigoths, Vitiza et Rodrigue, un châtiment qui s'incarne dans l'invasion des musulmans. Ce châtiment est providentiel car il permettra la régénération future du royaume chrétien, donnant ainsi naissance au néo-gothisme. L'infidélité des Wisigoths figure tout d'abord dans le double péché de Vitiza - péché de luxure et péché contre l'Église : « [Vitiza] annula les conciles, scella les canons et prit plusieurs femmes et concubines »19. Non content de son péché, il entraîne les prélats dans sa chute et les pervertit en leur ordonnant de prendre femmes : « Afin que contre lui aucun concile ne se réalisât, il ordonna aux évêques, aux prêtres et aux diacres de prendre femmes »20. Et puisqu'il y a une étroite solidarité entre gouvernant et gouvernés, c'est le peuple qui va pâtir des fautes de son roi. En effet, s'inspirant du Livre des Nombres, l'auteur peut déclarer : « Si le peuple pèche, le prêtre prie, si le prêtre pèche, la plaie frappe le peuple »21. Vitiza est donc le contre-exemple du bon roi que saint Isidore de Séville décrivait dans ses Etymologies22 selon la formule célèbre: Reges a regendo vocati. Sicut enim sacerdos a sacrificando, ita et rex a regendo. Non autem regit, qui non corrigit. Recte igitur faciendo regis nomen tenetur, peccando amittitur. Vnde et apud veteres tale erat proverbium : « Rex eris, si recte facias : si non facias, non eris. ». Le dernier roi des Wisigoths n'échappe pas non plus à la condamnation. L'auteur de la Chronica naiarensis copie lHistoria Silense et rappelle la luxure de Rodrigue qui viole la fille du comte Julien23 et sa passivité alors que l'Hispanie connaît de « grandes iniquités »24. En outre, le lignage entier est corrompu puisqu'Ardabaste, grand-père de Vitiza est grec (Chronica naiarensis,§ 206) et la fourberie des fils de Vitiza (§ 211) est largement développée25. Ainsi l'invasion maure apparaît-elle comme un châtiment divin du « grand nombre des péchés des Wisigoths ». En conséquence, les principales institutions wisigothiques s'effondrent. En effet, de même que le peuple est entraîné dans la chute de son roi, l'armée ainsi que l'Église wisigothiques à travers ses prélats sont également déchues : « Rois et prêtres abandonnèrent le Seigneur, et pour cela, toutes les troupes d'Hispanie périrent »26; l'armée dans sa fuite est « détruite jusqu'à sa presque destruction», et, « écrasés par la multitude de leurs péchés et surpris par la trahison des fils de Vitiza, les Wisigoths sont mis en fuite »27. L'ensemble de la patrie périt et les Wisigoths se voient ainsi privés de leur terre, c'est-à-dire du regnum28 : Et puisqu'ils abandonnèrent le Seigneur pour ne pas l'avoir servi en justice et en vérité, ils furent abandonnés de Dieu, de sorte qu'ils n'habitèrent plus la terre de leurs vœux29. La sanction divine est en réalité la même que celle infligée aux Juifs de l'Ancien Testament qui furent bannis de la desiderabilis terra (Psaumes CVI, 2430 ; Jr, 3, 1931). Cette assimilation fait du peuple hispanique le peuple élu ; le royaume hispanique apparaît dès lors comme la nouvelle Terre promise qui doit connaître une régénération. Par ailleurs, certaines raisons plus « historiques » de la perte de l'Hispanie apparaissent en filigrane. En effet, les problèmes successoraux se multiplient après la mort de Wamba32 ainsi que les luttes lignagères - le lignage Chindaswinthe / Théodefred et Rodrigue contre celui Ervige / Egica et Vitiza. Enfin, cette chute s'explique par « l'excessive centralisation d'un pouvoir incapable de réagir rapidement aux tentatives séparatistes, < par > les querelles et les rivalités de l'aristocratie, < par > le déclin d'un sentiment national », pour reprendre le propos de Michel Zimmermann33. Alors que le « glorieux Suinthila » avait été « le premier roi à contrôler la monarchie de l'Hispanie toute entière », la perversion de la royauté, le désordre des relations entre la royauté et l'aristocratie, ajouté à celui entre ces deux dernières instances et l'Église, occasionnent la « perte de l'Hispanie » et de sa capitale, Tolède : l'ensemble du regnum est désormais soumis au pouvoir des Ismaélites34. Cet événement entraîne une profonde rupture politique qui transparaît dans la division de la Chronica naiarensis : il y a un avant et un après la chute qui clôt le livre I35. Les chrétiens admettent désormais l'existence d'une nouvelle royauté, musulmane36, et le livre II s'ouvre sur la royauté de Cordoue. Cette « perte » de l'unité de l'Hispanie, dans le cadre du providentialisme, a pour corollaire l'idée de récupération d'un ordre antique, de restauration de l'empire des Wisigoths par les rois chrétiens. La destruction est « presque » totale (paene) et le providentialisme va désormais être, pour les rois chrétiens, une « arme de guerre »37. L'effondrement de l'Hispanie entraîne l'émergence du mythe néo-wisigothique, et désormais, le désir de restauration va constituer le programme politique des royaumes chrétiens, programme qui apparaît dans notre chronique.
La restauration néo-gothique selon la Chronica naiarensis
L'auteur de la Chronica naiarensis, bien qu'il copie la Chronique d'Alphonse III-Rotense et l' Historia Silense, et bien qu'il hérite du programme néo-wisigothique développé dans ces sources, va au-delà de la simple compilation chronistique. Il compose en effet des interpolations qui précisent une continuité à la fois ethnique et dynastique entre les derniers rois wisigoths et les premiers rois des royaumes chrétiens du Nord péninsulaire. De plus, la doctrine politique de la jeune royauté astur-léonaise est isidorienne.
Un redressement ethnique et dynastique Les principaux acteurs de la naissance du royaume asturien sont étroitement liés au passé wisigothique - un passé qui devient le référent des actions présentes. La relève ethnique se fait à travers Pélage, spathaire38, c'est-à-dire soldat portant l'épée des rois Vitiza et Rodrigue, mais aussi premier roi des Asturies. Il n'appartient pas aux lignages royaux mais il représente la race gothique. Le chroniqueur réorganise son œuvre et opte ainsi pour une division différente de celle de sa source qui relate dans un paragraphe unique la chute de Rodrigue et le redressement de Pélage39. Ici, la division des deux premiers livres semble présenter la formation d'un ordre nouveau après la chute du royaume de Tolède. Or, le lien entre les derniers rois wisigoths et le premier roi asturien est établi grâce à une double interpolation. En effet, après l'explicit du livre I et la mort de Rodrigue - « La ville de Tolède, victorieuse des nations, succomba aussi, vaincue par les triomphes des Ismaélites. Ici se termine le premier livre »40 - la Chronica naiarensis insère les lignes suivantes : « Le deuxième livre commence. Et, après la mort de Rodrigue, roi des Wisigoths, il n'y eut pas de rois wisigoths sur cette terre pendant quatre ans »41. La continuité wisigothique est à nouveau précisée à la fin du paragraphe 2 de ce livre II : « Ainsi le royaume des Wisigoths était-il resté vacant pendant quatre ans, évidemment depuis l'ère 752 »42. Le doute n'est pas possible, Pélage est un roi wisigoth et il n'y a aucune rupture politique. Il ne s'agit que d'une vacance de quatre ans durant laquelle les provinces d'Hispanie sont dotées de gouverneurs qui doivent payer un tribut au califat de Damas puis au roi de Cordoue43. Le découpage de l'œuvre est significatif : il y a un avant et un après la chute, mais ce ne sont pas pour autant des passages historiques dissociés. Cependant, Pélage apparaît également comme le cousin de l'évêque félon Oppas, frère du mauvais roi par excellence : Vitiza (§ 2 : l'évêque l'appelle « mon cousin et mon fils »44). Il appartient donc à la race traîtresse45. Dès lors, il convient que le chroniqueur rétablisse la grandeur du héros de Covadonga. Pour ce faire, il développe l'intention de Pélage de se rebeller contre l'invasion et le pouvoir musulmans afin de restaurer la royauté wisigothique et ses grandes institutions, dans le but ultime de sauver l'Église et toute l'Hispanie : « Il se presse de mener à bien avec toute son ardeur ce qu'il avait déjà pensé au sujet du salut de l'Église [...] »46. De plus, Pélage espère en la miséricorde divine et compare les rois wisigoths à David qui, châtié pour ses fautes, fut ensuite sauvé par cette miséricorde. Ce combat, Pélage le conçoit comme une lutte contre les païens et avec l'aide de Jésus-Christ le Libérateur. Il s'adresse à Oppas en ces termes : Ainsi, pour le combat dont tu nous menaces, nous avons déjà comme défenseur devant le Père le Seigneur Jésus-Christ, qui a le pouvoir de nous libérer de ces païens [...]. Le Christ est notre espoir afin que, de cette petite colline [...], arrive le salut de l'Hispanie et soit restaurée l'armée du peuple des Wisigoths47. Royauté, Église, Armée et Peuple sont ainsi restaurés par la seule action néo-wisigothique de Pélage qui « rend la paix au royaume »48. Ce personnage apparaît comme l'exemple du bon roi qui agit pour l'utilité publique et le salut de son peuple49. Outre ce projet de restauration, l'élection de Pélage légitime son pouvoir. À la suite de la Chronique d'Alphonse III-Rotense, les Astures ont le pouvoir institutionnel d'élire Pélage en un concile, à la manière des Wisigoths. La Chronica naiarensis va même plus loin puisqu'elle confond les Astures et les Wisigoths : Tous les Astures [...] se réunirent en un concile et élurent prince Pélage en l'ère 756. Ainsi, le royaume des Wisigoths était-il resté vacant pendant quatre ans, évidemment depuis l'ère 75250. Néanmoins, les Conciles de Tolède interdisaient toute succession royale à un étranger51. Le redressement proprement gothique et royal se fait donc à travers Alphonse, gendre de Pélage, mais surtout fils de Pierre, duc de Cantabrie, dont il est précisé qu'il est « d'ascendance royale »52 ; élu par le peuple, Alphonse assumera par la suite le sceptre royal wisigothique par la grâce de Dieu (§ 8). Une fois l'ascendance royale d'Alphonse précisée, le chroniqueur fait une troisième interpolation qui redéfinit Pélage comme un roi wisigoth, successeur légitime de Rodrigue : « Depuis que les Wisigoths commencèrent à régner en Hispanie, 352 ans, trois mois, cinq jours et trente-six rois ont passé »53. La continuité de la royauté wisigothique est donc ethniqueetdynastique. Ainsi, l'initiateur de la Reconquête, son gendre Alphonse et le peuple astur sont-ils assimilés au reliquat du royaume wisigothique qui a survécu au jugement de Dieu. Contrairement à la Chronique d'Alphonse III-Rotense où, selon ThomasDeswarte, « l'identité proprement gothique a disparu en 711 » et dans laquelle « le qualificatif de chrétien semble être le seul à pouvoir s'appliquer aux différents peuples de nouveau réunis en un royaume », la Chronica naiarensis renforce la royauté asturienne dont elle affirme par trois interpolations brèves mais significatives le lien direct avec la royauté des Wisigoths : ces deux royautés sont identiques.
La doctrine isidorienne de la royauté astur-léonaise Si le redressement de la royauté est gothique, un vaste programme de restauration des grands principes wisigothiques et de l'unité territoriale et spirituelle hispanique doit se développer, faisant donc du projet politique astur-léonais un projet néo-wisigothique fondé sur la doctrine isidorienne de la royauté. L'élection (II, § 2, 8 et 20), le sceptre, symbole de la royauté (II § 8) et l'onction royale (II, § 15), ce rite « qui insuffle au monarque une légitimité sacrée »54, sont autant signes extérieurs de la royauté wisigothique. De plus, les rois astur-léonais possèdent les qualités définies dans le canon 75 du IVe Concile de Tolède55 : à l'image de Récarède, Ordono I fait preuve de « grande patience et de modestie »56, Alphonse III « craint Dieu » et témoigne d'« une grande piété »57, il est « prudent » et « très glorieux » ; alors que s'achève le livre II, le chroniqueur fait l'éloge d'Alphonse V qu'il décrit en reprenant les termes mêmes qu'employait saint Isidore au sujet de Suinthila58, comme « père des pauvres et des orphelins, protecteur des églises, plein de miséricorde, lutteur très diligent contre les Maures et leurs villes »59. Enfin, Ferdinand Ier est « doux », pieux et généreux. La royauté, dans ce qu'elle a de vertueux, est conservée. Par ailleurs, le peupledu royaume paraît implicitement considéré comme le seul nouveau peuple élu. Les guerres d'Alphonse III contre les Maures sont comparées à l'action de Mattathias et de ses fils qui vengèrent la multitude d'Israël60 : comme Mattathias luttait pour l'indépendance de la Judée, Alphonse III bénéficie de la protection divine pour « réaffirmer le royaume des Wisigoths et soumettre les peuples barbares »61, c'est-à-dire pour restaurer l'Hispanie wisigothique. L'unité wisigothique territoriale qui doit être rétablie justifie la guerre de reconquête des domaines envahis par les musulmans. Les actions guerrières menées par l'armée astur-léonaise assureront donc une paix durable. Enfin, ce programme de restauration territoriale suppose, en même temps qu'un « repeuplement »62, une restauration de l'Église. En effet, le roi doit défendre la foi et l'unité confessionnelle de son royaume : ainsi, en contrepartie de la mauvaise action de Vitiza, Fruela I (757-768) « met fin aux crimes par lesquels les prêtres s'étaient accoutumés, depuis le temps de Vitiza, à prendre épouse »63. Plus concrètement, Vermude II « restaure en mieux le siège [épiscopal] de saint Jacques »64 et Alphonse III « restaure toutes les églises du Seigneur »65. Cette restauration providentielle des grandes institutions wisigothiques (Roi, Patrie, Église, Royaume) est résumée en une phrase par le chroniqueur : Alors, par la grâce de Dieu, la patrie est repeuplée, les églises sont restaurées et tous rendent grâce à Dieu en disant : « Béni soit le nom du Seigneur qui console ceux qui croient en Lui et détruit les mauvaises gens » [...] Alors enfin, la paix fut rendue au royaume66.
Le projet néo-gothique est
donc permanent malgré l'éclatement de l'Hispanie67, comme
le L'influence wisigothique se fait sensiblement présente depuis les origines de la nouvelle monarchie chrétienne, en particulier dans les institutions et la vie politique ; l'État qui se crée en 718 reprend très tôt, pour le meilleur et pour le pire, une part importante de l'héritage tolédan. Après le redressement, la « relève » menée par le reliquat wisigoth, l'ancien ordoGothorum est donc rétabli dans les royaumes du Nord péninsulaire. Les principes de « relève » du royaume wisigothique par le royaume astur-léonais, de « continuité » ethnique et institutionnelle et de « permanence » entre les deux royaumes ne sont donc pas contradictoires, bien au contraire, ils sont complémentaires et font partie d'un même projet idéologique69. Il existe bien une « continuité historique de la royauté », comme le précisait déjà Georges Martin au moment d'étudier la Chronique d'Alphonse III-Albeldense. De ce royaume d'Oviedo-Leon à celui de Castille, un glissement conceptuel va se produire. La Chronica naiarensis, et plus particulièrement le livre III de cette chronique, marque l'appropriation, par la Castille, du programme de restauration de l'Hispanie, un programme à l'origine léonais.
Le royaume de Castille et la restauration de l'Hispanie wisigothique. La Castille et le concept d'« Hispanie wisigothique »
Certes le projet de restauration est permanent, mais gardons à l'esprit que l'historien est un produit de son époque. Il est conditionné par sa formation et par l'héritage culturel et politique qu'il a reçu ; ses idées subissent l'influence du groupe auquel il appartient, et son œuvre, qui recueille la mémoire du passé, dépend du présent de sa rédaction. La fin du XIIe siècle marque l'ascension politique et territoriale du royaume de Castille et la Chronica naiarensis est la première chronique proprement castillane. Pourtant, Claudio Sânchez-Albornoz70 affirme que la Castille « est déracinée de cette asphyxiante tradition néo-gothique ». Selon lui, « le néo-gothicisme léonais fait du passé le futur et aspire à la restauration d'un hier perdu ». En revanche, et si l'on en croit cet auteur, « la Castille n'a plus aucune attache avec un passé qui cherche à devenir le futur. [...] Née en regardant vers le présent et le futur, elle rêve d'élargir ses frontières vers le Sud, non pour récupérer le royaume wisigothique, mais pour affirmer sa personnalité ». Cependant, dans la Chronica naiarensis, et dès la fin du livre II, l'Hispanie wisigothique me semble demeurer une entité à reconstituer. La légende des Juges de Castille y apparaît et l'entreprise de Reconquête territoriale de l'Hispanie est bel et bien menée par les comtes de Castille (II, § 26 et 27). Puisque la Castille ne peut prétendre hériter de l'empire wisigothique par une quelconque ascendance ethnique - comme cela était possible pour le royaume de Leon - elle héritera du concept d'« Hispanie » wisigothique. Désormais, la lignée wisigothique importe moins que l'idéologie wisigothique isidorienne.
Le comté de Castille et l'Hispanie En effet, avant même de détailler l'ascendance du premier « roi » de Castille, Ferdinand Ier, le chroniqueur rapporte l'époque tragique de l'an mil pendant laquelle le vizir al-Mansur ravage le comté de Castille - ce territoire devient alors, aux côtés de Leon, le sujet de la chronique. Alors que Vermude II de Leon (982-999) n'apparaît pas ici, contrairement à l'opinion de Amancio Isla Frez, comme le « restaurateur de la monarchie et l'initiateur d'une nouvelle période de renaissance »71, c'est le comte Sanche Garcia de Castille (995-1017) qui va contrecarrer cette incursion maure. Son action est relatée dans le paragraphe 39 du livre II qui est isolé des sources et semble donc être entièrement de la main du chroniqueur. L'action du comte castillan contre le roi maure est consécutive au récit de la légende de la célèbre Comtesse Traîtresse72, épouse du comte Garcia Fernândez et mère du comte Sanche Garcia. Cette légende est, comme l'a démontré Francisco Bautista à la suite de Peter Linehan73, un de ces récits inventés par les historiens qui façonnent un passé à l'image de leur désir. Ce sont les intérêts de la Castille du XIIe siècle qui sont développés dans ce récit et, dans une optique de défense politique de ce royaume, les paragraphes 33-39 du livre II vont apparaître dès lors comme une véritablemise en abîme de la chute et de la restauration de l'Hispanie, assimilée ici à la Castille, et non plus comme précédemment au royaume de Leon. En effet, le roi maure al-Mansur « désole presque toute la Castille » et en « ruine les défenses », il œuvre pour la « perte et la persécution des chrétiens ». Al-Mansur apparaît ici comme un nouveau Tarik et le vocabulaire employé est en somme celui de la perte de l'Hispanie sous Rodrigue. Ce Maure détruit les églises et le culte divin, soumettant à son pouvoir le royaume chrétien. À nouveau, cette invasion est perçue comme un châtiment divin qui vient punir les péchés de Vermude II, roi « imprudent et tyrannique »74 qui eut plusieurs concubines en plus de ses deux épouses légitimes, comme Vitiza. De la même façon que l'avant-dernier roi des Wisigoths, Vermude II souhaita pervertir l'épiscopat et en particulier don Gudesteo, évêque d'Oviedo, qui ne voulut pas prendre femme et fut emprisonné en Galice (§ 33). Le chroniqueur parle des « crimes » de ce roi et précise explicitement qu'al-Mansur envahit la Castille « à cause des péchés de Vermude »75. Vermude est également assimilé à Rodrigue, dernier roi des Wisigoths, puisque « la ville [de Leon] fut totalement détruite tout d'abord sous Rodrigue, dernier roi des Wisigoths, au moment où presque toute l'Hispanie périt, et par la suite sous Vermude le Goutteux par al-Mansur et son fils Abdelmelik »76. Outre les institutions wisigothiques évoquées - l'armée et les défenses castillanes, l'Église, le peuple des chrétiens, le royaume -, al-Mansur pervertit même la royauté wisigothique, représentée par la fameuse Comtesse Traîtresse qu'il séduit par les attraits du pouvoir, lui promettant la dignité royale et non plus seulement la dignité comtale77. Al-Mansur est « le bâton de la colère du Seigneur contre les chrétiens », c'est-à-dire contre les Castillans. Le chroniqueur utilise ainsi pour le royaume de Castille le même schéma providentiel de destruction et de restauration de l'Hispanie et le comte Sanche Garcia, comme autrefois Pélage dans la grotte de Covadonga, se réfugie avec sa mère et sa sœur à Lantaron78, préfigurant ainsi la rédemption à laquelle est promis le royaume castillan. Ainsi, dans ces paragraphes, un peuple chrétien - les Castillans -, s'associe à un territoire - le comté de Castille -, à la tête duquel se trouve le comte Sanche Garcia : la patrie wisigothique est bien présente et l'historien précise, pour plus de clarté que de ce comte « tout seul dépend le salut de toute l'Hispanie», et non simplement de la Castille. Le chroniqueur va donc plus loin encore, puisqu'il identifie explicitement Sanche Garcia à Pélage et la Castille à l'Hispanie, employant indifféremment l'un ou l'autre terme. La Castille se fait donc, et de façon nouvelle, l'héritière du grand royaume wisigothique hispanique. Par cette substitution lexicale, le chroniqueur élabore une translatio imperii, de l'empire hispanique des Wisigoths à celui de la Castille, puisque Sanche Garcia se fait le défenseur de tout le royaume et est le garant de son avenir. Ce sont de nouveau la Providence et la « miséricorde divine » qui permettent le redressement des chrétiens castillans et la mort d'al-Mansur79grâce au comte. Ce dernier est par là assimilé au nouveau restaurateur de l'ordre antique hispanique wisigothique. Alors que « du VIIIe au XIIe siècle le royaume de Leon était regardé par les autres États chrétiens de la Péninsule comme le légitime héritier de l'empire wisigothique tolédan »80, c'est la Castille qui est envisagée ici comme le dernier réduit de l'Hispanie wisigothique et chrétienne et, brièvement, comme un nouvel empire restauré, refuge de la chrétienté. La rédemption du peuple castillan tout entier est consommée dans la mort d'al-Mansur à la fin du paragraphe 39 du livre II. Aussi l'auteur de la Chronica naiarensis s'approprie-t-il le passé et y applique-t-il pour le présent et la Castille sa propre perspective et sa propre subjectivité, ce qui a permis à Francisco Bautista de conclure que La leyenda de la Condesa Traidora resulta, entonces, indisociable de su propio contexto historiográfico y del proyecto de creaciôn de una mitología que explique y asegure la hegemonía castellana81. Certes, ce récit est isolé mais il est significatif, me semble-t-il, de la doctrine développée dans le livre II de la Chronica naiarensis qui s'achève d'ailleurs sur l'union des royaumes de Leon et de Castille. Ainsi, concernant la Castille, l'héritage wisigothique n'est plus ethnique et dynastique, mais idéologique et conceptuel puisque le comté, puis le royaume naissant de Castille, s'approprient le concept d'Hispanie, héritant d'une pensée politique davantage néo-hispanique. Cet héritage de la pensée politique néo-wisigothique s'illustre par la suite dans le néo-gothisme de Ferdinand Ier.
Le néo-gothisme de Ferdinand Ier La supériorité du royaume de Castille a préparé la succession proprement royale de Ferdinand Ier. Cette succession rappelle celle d'Alphonse I qui était celui qui héritait véritablement du sang royal wisigothique à la suite de Pélage. Le livre III s'ouvre sur l'ascendance généalogique de ce Ferdinand, un navarrais, et l'historien insiste sur la nécessité d'un rappel historique sur ce roi en précisant que cela « est pertinent pour le présent »82, c'est- à-dire pour la fin du XIIe siècle. Comme je l'ai mentionné, la Chronica naiarensis n'est pas une simple compilation de sources, et le choix de l'historien d'ouvrir ce livre III (Incipit liber tertius) par les Annales Compostellanes (III, § 1) établit de façon significative le castillanisme de la chronique et de Ferdinand Ier, descendant des Juges de Castille et du comte Fernân Gonzalez qui « sortit les Castillans du joug de la domination de Leon »83. Ferdinand est le petit-fils du comte Sanche Garcia sur lequel repose la mission de restauration de l'Hispanie ; de plus, il hérite de sa mère Munia le comté de Castille84 qui devient un royaume, et dont nous avons démontré le projet désormais néo-hispanique. Le chroniqueur choisit ensuite les Généalogies de Roda pour présenter l'ascendance navarraise du nouveau roi et l'idéologie quasi impériale que lui transmet son père Sanche III le Grand ; Angel J. Martin Duque a démontré à ce titre que, déjà du temps de Sanche III le Grand, « la monarchie de Pampelune avait assumé comme sa propre raison d'être l'identité « néo-gothiciste » du royaume d'Oviedo, c'est-à-dire, une claire intention restauratrice de la monarchie hispano-gothique et de son ordre religieux et civil dans un cadre social radicalement chrétien »85. Enfin, après son mariage avec Sancie de Leon et la mort de son beau-frère Vermude III (1037), Ferdinand hérite le royaume de Leon ainsi que l'antique programme politique de restauration de l'ordo Gothorum de la cour d'Oviedo-Leon ; il est oint et consacré roi dans la cathédrale Sainte Marie de Leon. Le compilateur, fort de ce triple héritage néo-wisigothique - castillan, navarrais et léonais -, rappelle le programme politique de Ferdinand, premier roi de Castille et de Leon : Le roi Ferdinand, après la mort de son frère et de son beau-frère, après avoir vu tout le royaume soumis à son pouvoir sans obstacle, désormais tranquille au sujet de sa patrie, décide d'employer le reste de son temps à attaquer les barbares et à consolider les églises du Christ86. La continuité idéologique est ici patente : le roi, la patrie, le royaume et l'Église sont restaurés. Le roi a obtenu la paix intérieure et peut se consacrer à l'opération de reconquête territoriale et de lutte armée contre l'ennemi infidèle. La Castille s'approprie désormais le concept d'Hispanie wisigothique et, dès lors, le chroniqueur parlera de rois « castillans » ou même « espagnols » (III, § 8) et de leur idéologie néo-hispanique. Ferdinand conquiert et soumetdes villes à ses lois (III, § 6), il leur rend le culte chrétien (III, § 7) et les « repeuple ». Ainsi Ferdinand Ier restaure la regia potestas87, la pleine autorité de la monarchie fondée sur la conception isidorienne du pouvoir. D'autre part, au niveau spirituel, Ferdinand se réapproprie le sacré de l'Hispanie et transfère le corps de saint Isidore de Séville à Leon en 1063 ; il développe le culte dédié à ce saint et se fait vicaire de Dieu (III § 12). À partir de ce moment, la Castille, devenue un royaume et unie à Leon, se sent alors supérieure à l'ancien royaume léonais, son rival, et conçoit l'idée qu'elle est le centre politique de l'Hispanie chrétienne. Cependant, Ferdinand ne s'octroya jamais le titre d'imperator d'Espagne. C'est sous le règne de son fils Alphonse VI, qui accède à la double couronne, que le néo-hispanisme culmine.
De la récupération de l'ordo Gothorum à celle de l'Hispanie wisigothique
Je conclurai sur le règne d'Alphonse VI, durant lequel les événements et l'exaltation de la regia potestas entraînent les royaumes de Castille et de Leon à restaurer, non plus simplement l'ordo Gothorum - projet d'Alphonse II et d'Alphonse III dans les Chroniques asturiennes - mais l'Hispanie wisigothique. Même si, dans la Chronica naiarensis, Alphonse « assume le gouvernement des royaumes » (III, § 18), même si son fils sera « empereur des Espagnes » (§ 22) - l'emploi de pluriels montre la conscience que l'auteur a de la réalité du fractionnement politique de la péninsule en différents royaumes -, c'est en « Hispanie » que le Pape envoie un délégué lors du Concile de Burgos en 1077. Ce terme « Hispanie » fait désormais référence aux royaumes chrétiens dans le livre III de la Chronica naiarensis, tandis que dans le livre II, cette lexie renvoyait à al-Andalus88 et désignait une terre où les rois chrétiens guerroyaient contre les musulmans. D'autre part, Alphonse VI continue de mener le programme de restauration à son terme. Il conquiert Tolède en 1085 avec l'aide de la Providence divine89 - cette ancienne capitale de l'empire des Wisigoths qui fut autrefois « victorieuse de toutes les nations »90. En 1086, le rétablissement de l'ancien statut de capitale de cette ville compromet définitivement la situation privilégiée de Leon. L' empire se reconstitue sous Alphonse VI : lui-même, si l'on en croit une donation faite à l'archevêché de Tolède, se nomme « empereur de toute l'Hispanie par la grâce de Dieu » et parle de Tolède comme de la « ville royale » d'où a été expulsé le rite païen par la miséricorde divine91. Le 18 décembre 1086, Alphonse VI restaure « le siège épiscopal » de Tolède et profite d'un acte diplomatique pour rapporter les circonstances de la prise de Tolède, rétablissant la primatie de la ville qu'avaient établie ses « saints pères », c'est-à-dire ses aïeux wisigothiques ; le roi chrétien s'installe dans le « palais impérial », restaure la suprématie du nouvel archevêque et redéfinit son antique dignité, lui conférant le pouvoir de juger tous les clercs de son « empire »92. Tolède retrouve donc son statut de ville impériale et de centre spirituel de l'Hispanie. On peut donc dire que, au-delà d'une restauration de l'ordoGothorum, réalisée sous Alphonse II selon les Chroniques asturiennes, et donc d'une simple translatioregni93que connut la cour d'Oviedo-Leon, la Chronica naiarensis semble donc défendre une réelle translatioimperii : de l'empire des Goths à celui d'Alphonse VI, en passant par celui du comte Sanche Garcia. C'est le même phénomène que Luis A. Garcia Moreno94 a pu relever dans la Générale Estoire d'Alphonse X le Sage et dans le De Rebus Hispaniae de Rodrigue de Tolède. Son propos démontre que dans ces deux chroniques « il ne s'agit plus de la récupération du royaume des Wisigoths mais simplement de l'« Espagne », qui s'était perdue avec l'invasion islamique ». Il y a « un changement dans l'objectif restaurateur de la Reconquête : du regnum gothorum, entendu comme la domination de la nation wisigothique sur la Péninsule ibérique [... ] à simplement l'Espagne ». De même, l'Hispanie présentée dans les livres II et III de la Chronica naiarensis est bien cet antique empire wisigothique : un regnum occupé et défini par une gens et gouverné par un rex qui s'appuie sur l'Ecclesia. La Chronica naiarensis revendique déjà cet héritage impérial, quelques dizaines d'années avant Rodrigue de Tolède. En reprenant possession de l'Hispanie et de sa capitale, Alphonse affirme donc ses ambitions hégémoniques sur cette communauté historique que Rome puis les rois wisigoths avaient régie de façon unitaire quelques siècles avant. Il finit par s'intituler « empereur de toute l'Espagne », donnant ainsi à son royaume « la stature d'un empire restauré »95 et se montrant convaincu de l'unité historique de l'Hispanie96. 46 Au terme de cette étude, il me semble pouvoir avancer que dès la fin du XIIe siècle, le projet hégémonique de la Castille se fonde sur l'ancien empire de l'Hispanie wisigothique. La Chronica naiarensis marque donc l'appropriation par la Castille du mythe néo-wisigothique. Il ne s'agit pas, comme a pu le dire José Antonio Maravall d'un « simple emprunt »97 mais d'un dessein historique calculé par l'historien. Alors que le royaume de Leon revendiquait un héritage ethnique et généalogique, la Castille renouvelle le mythe puisque l'héritage est davantage conceptuel. Ce royaume, dont le poids politique ne cessera de s'accroître, assimile le néo-gothisme astur-léonais et revendique un héritage plus néo-hispanique que proprement néo-wisigothique 98. C'est cette construction idéologique qui permettra au royaume de Castille de prétendre exercer une hégémonie pan-hispanique.
Notes
1 Miguel Angel LADERO QUESADA, « Neogoticismus », in : Lexicon des Mittelalters 6, Mùnchen et Zurich : Artemis, 1993, cols. 1090-1091 (col. 1090). 2 Thomas DESWARTE, De la destruction à la restauration : l'idéologie du royaume d'Oviedo-Leôn (VIIIe-XIe siècles),Turnhout : Brepols, 2003. 3 Chronica Hispana saeculi XII, Pars II : Chronica Naierensis, Juan Antonio ESTÉVEZ SOLA (éd.), Turnhout : Brepols, 1995 (Corpus Christianorum, Continuatio Medievalis, LXXIA). Désormais CN. Il existe une traduction du même auteur, Crônica Najerense, Madrid : Akal, 2003. 4 Cf- Bernard GUENÉE, Le métier d'historien au Moyen Âge. Études sur l'historiographie médiévale, Paris : Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, Centre de recherches sur l'histoire de l'Occident Médiéval, 1977. 5 Vid. Georges MARTIN, « La chute du royaume visigothique d'Espagne dans l'historiographie chrétienne des VIIIe et IXe siècles. Sémiologie socio-historique », Cahiers de linguistique hispanique médiévale, 9, 1984, p. 207-233. L'auteur de l'article insiste sur ce « mythe de fondation » et sur l'interprétation, pour le présent de la narration, du mythe néo-gothique. Vid. en particulier p. 223 : « Les textes postérieurs [à la Chronica Albeldense] vont déplacer la saisie mythologique, l'amenant à illustrer directement - ce qui fut d'emblée la vocation latente du traitement idéologique de l'épisode dans l'historiographie - le détenteur contemporain du pouvoir d'État », et p. 233 : « [...] chute et relèvement, passé et présent, sont asservis à illustrer de concert l'idéologie politique de la royauté ». 6 Sur l'auteur de la CN, vid. Antonio Mariano PÉREZ RODRIGUEZ, « Observaciones sobre el autor y el lugar de redacciôn de la Crônica Najerense », Cuadernos de investigaciôn : Historia, 9 (2), 1983, p. 21-28 et CN, introduction de Juan Antonio ESTÉVEZ SOLA, p. .LXXXIX-XCIII. 7 Livre I : des origines à la fin de l'époque wisigothique et à la perte de l'Hispanie sous Rodrigue ; livre II : de Pélage à Vermude III, époque de la restauration néo-wisigothique astur-léonaise ; livre III : de Sanche III de Navarre à Alphonse VI, période qui marque l'ascension du royaume de Castille. 8 Vid. à ce sujet l'article d'Hélène SIRANTOINE « L'Hispania dans la Chronica naiarensis », e-Spania, 7, http://e-spania.revues.org/index18291.html. 9 Vid. ISIDORE DE SÉVILLE, Étymologies (Etimologias), José OROZ RETA et Manuel A. MARCOS CASQUERO (éds.), introduction générale par Manuel C. Diaz Diaz, Madrid : Biblioteca de Autores Cristianos 433-434, 2e éd., 2 vol., 1993 (1re éd. 1983), en particulier le livre IX. Et Les Sentences (Sententiae Isidorus Hispalensis), Pierre CAZIER (éd.), Turnhout : Brepols, 1998, Corpus Christianorum Series Latina, 111. 10 Ramon D'ABADAL Y DE VINYALS, Dels Visigots als Catalans, 1 : la Hispània visigotica i la Catalunya carollngia, Colleciô estudis i documents 13, Barcelone : Edicions 62, 1969, p. 57. On trouve dans les Etymologies de saint Isidore une équivalence entre l'Hispania, la gens et patria Gothorum et la patria Gothorum et regnum. 11 Suzanne TEILLET, Des Goths à la nation gothique. Les origines de l'idée de nation en Occident du Ve au VIIe siècle, Paris : Les Belles Lettres, 1984, p. 7 et 8. 12 José Antonio MARAVALL, El concepto de Espana en la Edad Media, Madrid : Instituto de estudios politicos, 1981, p. 18 : « Espana no es solo una tierra, sino el espacio en que se da una vida colectiva ». 13 Isabel TORRENTE FERNANDEZ définit en ces termes la patrie wisigothique : « Esa formation politica hispânica que, a partir de Recaredo, se presenta tejida con la patria, fe y godos », dans son article « Goticismo astur e ideologia politica », in : La época de la monarquia asturiana. Actas del simposio celebrado en Covadonga (8-10 de octubre de 2001), Oviedo : Real Instituto de estudios asturianos, Principado de Asturias, 2002, p. 297-298. 14 CN, I, § 158 : « Interpretatio autem nominis eorum (Gotorum) in lenguam nostram tecti, quod significatur fortitude », p. 63. 15 Crônicas Asturianas, Juan GIL FERNANDEZ (introduction et édition critique), Juan Ignacio RUIZ DE LA PENA (étude préliminaire) et José Luis MORALEJO (traduction et notes), Oviedo : Universidad de Oviedo, 1985, p. 114-156. 16 Thomas DESWARTE, De la destruction à la restauration... , p. 134. 17 SAINT AUGUSTIN, La Cité de Dieu, Jean-Claude ESLIN (éd.), Louis MOREAU (trad.), Paris : Seuil, 1994. Vid. également Henri-Xavier ARQUILLÈRE, L'augustinisme politique. Essai sur la formation des théories politiques du Moyen-Âge, Paris : Librairie Philosophique J. Vrin 2e éd., 1972 (1re éd. 1933). 18 Vid. Marc REYDELLET, La royauté dans la littérature de Sidoine Apollinaire à Isidore de Séville, École Française de Rome, Palais Farnèse, 1981, p. 462-503 et p. 571-593. 19 CN, I § 209 : « Concilia dissoluit, canones sigillauit, uxores et concubinas plurimas accepit », p. 94. 20 CN, I § 209 : « Et, ne aduersus eum concilium fieret, episcopis, presbiteris seu diachonibus uxores habere precepit », p. 94. 21 CN, I § 209 : « Si peccat populus, orat sacerdos ; si peccat sacerdos, plaga in populo », p. 95. 22 ISIDORE DE SÉVILLE, Étymologies, IX, 3, 4, p. 764. 23 CN, I, § 211 : « Preterea furor uiolate filie ad hoc facinus peragendum Iulianum incitabat, quam Rudericus rex non pro uxore set eo quod sibi pulcra pro concubina uidebatur, eidem callide subripuerat. », p. 96. 24 CN, I, § 211 : « Rudericus in regno est perunctus, cuius in tempore adhuc in peiore nequitia creuit Yspania », p. 96. Vid. sur la faute des rois qui conservent les produits des rapines de leurs prédécesseurs Marc REYDELLET, La royauté dans la littérature..., p. 595. 25 Sur la corruption biologique des derniers rois wisigoths, vid. Yves BONNAZ, « Divers aspects de la continuité wisigothique dans la monarchie asturienne », in : Mélanges de la Casa de Velâzquez, 12, Madrid, 1976, p. 81-100 et en particulier p. 82-83. 26 CN, I, § 209 : « et quia reges et sacerdotes Dominum dereliquerunt, ideo cuncta agmina Yspanie perierunt », p. 95. 27 CN, I, § 211 : « Set suorum peccatorum classe oppressi et filiorum Vitizani fraude detecti, Goti in fugam sunt uersi. Quo exercitusfugatus usque ad internitionempene est deletus ». 28 Sur ces notions fondamentales de l'édifice wisigothique, vid. Suzanne TEILLET, Des Goths à la nation gothique... , p. 503-533. 29 CN, I, § 211 : « Et quia dereliquerunt Dominum ne seruirent ei in iusticia et ueritate, derelicti sunt a Domino ne habitarent terram desiderabilem », p. 96. 30 « Ils méprisèrent aussi le pays désirable et ils ne crurent point à sa parole ». 31 « Mais j'ai dit : Comment te mettrai-je au nom de mes fils et te donnerai-je la terre désirable, l'héritage excellent des armées des nations ? ». 32 Vid. CN, I, § 206-211. Chindaswinthe adopte le grec Ardabaste et lui donne sa nièce en mariage. De cette union naît Ervige qui, poussé par l'orgueil, tente d'empoisonné le roi. Il montera malgré tout sur le trône, mais de façon tyrannique. 33 Michel ZIMMERMANN, « L'Espagne wisigothique », http://www.clio.fr/bibliotheque/pdf/pdf_l_espagne_wisigothique.pdf, p. 7. 34 CN, I, § 193 : « Gloriosissimus Suintila [...] tocius Yspanie infra oceani fretum monarchia regni primus idem potitus ; § 209 : « Istud namque Yspanie causa pereundi fuit » ; § 211 : « Arabes tamen regione simul et regno opresso plures tamen interfecerunt, reliquos uero pacis feder blandiendo sibi pace subiugauerunt. Vrbis quoque Toletana [...] Ysmaeliticis triumphis uicta subcubuit. »
35
La
CN,
à la suite de la
Chronique d'Alphonse
III-Rotense
utilise la date de 714
alors que les chroniques
postérieures à l'échec de la prophétie qui devait se réaliser sous
Alphonse III - la
Chronica Ovetense
et
Historia Silense -
restaurent la date de 711
comme celle de l'invasion des Maures (§ 211 : «
III <idus> 36 CN, II, § 1 : « Per omnes prouintias Yspanie prefectos posuerunt et pluribus annis Babilonico regis tributa persoluerunt, quosque ibi regem elegerunt et Cordobam urbem patriciam regnum sibi firmauerunt », p. 98. 37 Thomas DESWARTE, De la destruction à la restauration..., p. 160. 38 Sur ce statut de spatarius, gardien du glaive des derniers rois wisigoths, vid. Yves BONNAZ, Les chroniques asturiennes (fin IXCsiècle), Paris : C.N.R.S., 1987, p. 142, note 12. 39 Le paragraphe 8 de la version Rotense rapporte l'entrée des arabes, le triomphe ismaélite, l'installation de gouverneurs et la prise de pouvoir de Pélage. 40 CN, I, § 211 : « Vrb[i]s quoque Toletana gentium uictrix Ysmaeliticis triumphis ui<c>ta subcubuit. Explicit liberprimus », p. 97. 41 CN, II, § 1 : « Incipit liber secundus. Mortuo uero Roderico rege Gotorum uacauit terra regum Gotorum IIII annis », p. 98. 42 II, § 2 : « Vacauerat enimper III annos regnum Gotorum ab era scilicet DCCLII », p. 99. 43 CN, II, § 1 : « Per omnes prouintias Yspanie prefectos posuerunt et pluribus annis Babilonico regi tributa persoluerunt », p. 98. 44 Sur la parenté entre Oppas et Pélage, vid. Juan GIL, CrônicasAsturianas..., p. 65. 45 La Cronica Albeldense (XVa1) et la Chronique d'Alphonse III-Rotense considèrent Pélage comme le fils de Vermude et le petit-fils de Rodrigue, arrière petit-fils de Théodefred. La tradition officielle des Wisigoths le présente comme le fils du duc Favila et accepte sa parenté avec la famille royale. Sur les problèmes de succession de la fin du royaume wisigothique, vid. Abilio BARBERO et Marcelo VIGIL, La formaciôn del feudalismo en la Peninsula ibérica, Barcelona : Critica, 1978. 46 CN, II, § 2 : « Set quod iam cogitauerat de saluatione ecclesie cum omni animositate agere festinauit », p. 98. 47 CN, II, § 4 : « De proelio ergo quod tu minaris nobis habemus aduocatum apud Patrem Dominum Ihesum Christum, qui ab istis paganis potens est liberare nos. [...]Spes nostra Christus est, quod per istum modicum monticulum [...] sit Yspanie salus et Gotorum gentis exercitus reparatus», p. 100. Vid. aussi les multiples références à la Bible : Mtt 13-31 ; Marc 4-31 ; Lc, 12-18. 48 CN, II, § 6 : « Iam denique tunc reddita estpax terris », p. 102. 49 Cf. Jacques FONTAINE, Isidore de Séville et la culture classique dans l'Espagne wisigothique, Paris : Études Augustiniennes, 1re éd.1959, 2e éd. 1983 (texte remanié de Thèse d'État, Paris, 1957). 50 CN, II, § 2 : « Omnes Astures [...] in unum concilium collecti sunt et sibi Pelagium principem elegerunt era DCCLVI. Vacauerat enim per IIII annos regnum Gotorum ab era scilicet DCCLII », p. 99. 51 Vid. José VIVES (éd.), Concilios Visigôticos e Hispano-Romanos, Barcelone-Madrid, 1963, p. 228. 52 CN, II, § 6 : « Aldefonsus, filius Petri Cantabrorum ducis, ex regum prosapia, Asturias aduenit », p. 102. Pierre, duc de Cantabrie, serait le fils du roi wisigoth Ervige. Cette ascendance est discutée par certains chercheurs. 53 CN, II, § 6 : « Ex quo regnare ceperunt in Yspania Goti sunt anni CCCLII, menses tres, dies V, reges XXXVI », p. 102. (depuis Athaulf). 54 José ORLANDIS, « El rey visigodo catôlico », in : De la Antiguedad al Medievo. Siglos IV-VIII, III Congreso de Estudios medievales, Leôn, 1993, p. 58. 55 José Vives, Concilios visigôticos... : « A toi, notre roi - disaient les évêques en s'adressant à Sisenand -et aux futurs rois des temps à venir, nous demandons avec l'humilité convenable que, vous montrant mesurés et pacifiques envers vos sujets, vous gouverniez les peuples qui vous ont été confiés par Dieu avec justice et piété et que vous en rendiez compte au Christ bienfaiteur qui vous a choisis, en régnant avec humilité de cœur et goût pour les bonnes œuvres », p. 220. 56 CN, II, § 17 : « Ordonius [...] qui magne patientie atque modestie fuit », p. 109. 57 CN, II, § 18 : « Ceterum ab infantia sua magnus puer Aldefonsus timere Deum et amare didicerat [...] tantam itaque Deus in eos deuotionem repiciens... », p. 113-114. 58 ISIDORE DE SÉVILLE, Historia Gothorum, in : Thomas MOMMSEN (éd), Mon Germ auct antiq XI chron. Min.. II, p. 268-295 : « [Suintila] misericordia satispromtus ita ut non solumprincepspopulorum set etiampaterpauperum uocari sit dignus », § 63. 59 CN, II, § 40 : « Iste Aldephonsus rex pater pauperum et orphanorum, ecclesiarum patronum fuit, misericordie uisceribus affluens, Maurorum et ciuitatum eorum strenuissimus expugnator », p. 147. 60 Mattathias, prêtre juif du IIe siècle AC, est le père des Hasmonéens qui rendirent son indépendance à la Judée. En 167 AC, Mattathias se distingue en refusant, malgré la demande pressante d'une troupe syrienne, d'offrir des sacrifices aux dieux grecs dans sa petite ville de Modiin, au nord de Jérusalem. D'après les Livres des Macchabées, il tue le Judéen qui s'avance pour obéir aux ordres des Syriens qu'il combat avec l'aide de ses cinq fils avant de s'enfuir dans la montagne en enjoignant les « fidèles à la Torah » de le suivre. Ceci est la première étape de la guerre des Macchabées qui conduit à l'indépendance de la Judée. 61 CN, II, § 18 : « Tantam itaque Deus in eo deuotionem respiciens, non aliter Mathatie olim Iuda et fratres eius ad ulciscendam de inimicis israeliticam plebem quam huic ad corroborandum regnum Gotorum et deprimendas barbaras gentes sobolem multiplicauit », p. 114. 62 Le principe de poblar peut s'entendre de trois manières différentes : il peut s'agir de la superposition d'un contrôle politique nouveau sur des structures organisatrices préexistantes ou de l'encadrement politique, administratif et ecclésiastique d'un territoire et de sa population ; enfin, démographiquement, il peut s'agir du don d'un contingent de populations à des espaces conquis, dépeuplés ou de faible peuplement. Sur ce sujet, vid. Ramôn MENÉNDEZ PIDAL, « Repoblaciôn y tradition en la cuenca del Duero », in : Enciclopedia Linguistica Hispânica, 1 : Antecedentes onomatica, Madrid : CSIC, 1960, p. XXX-XXXI. Ce phénomène est très important pour la restauration de l'Hispanie gothique. 63 CN, II, § 9 : « Iste sceleribus, quibus de tempore Vitizani sacerdotes uxores habere consueuerant, finem imposuit ; etiam multis in scelere permanentibus flagella inferens monasterio religauit »,p. 104. 64 CN, II, § 37 : « Rex Veremundus [...] cepit locum Sancti Iacobi in melius restaurare », p. 145. 65 CN, II, § 23 : « Exinde a predicto rege omnes ecclesie Domini restaurantur et ciuitas Ouetensis cum regia aula edificatur », p. 123. 66 CN, II, § 6 : « Tunc Dei gratiapopulaturpatria, restaurantur ecclesie et omnes in commune gratias referuntDeo dicentes : « Sit nomen Domini benedictum, qui confortat in se credentes et destruit inprobas gentes » [...]Iam denique tunc reddita est pax terris », p. 102. 67 Cf- José Luis MARTIN, « La pérdida y reconquista de Espana a la luz de las crônicas y del romancero », in : Repoblaciôn y reconquista. Actas del III Curso de Cultura Medieval, Centro de Estudios del Românico, Aguilar de Campoo, septiembre de 1991, Palencia, 1993, p. 9-16 : « La unidad politica resucitada [... ] choca con la realidad politica, con una Hispania fragmentada en reinos y condados », p. 12. 68 Yves BONNAZ, « Divers aspects de la continuité wisigothique dans la monarchie asturienne », Mélanges de la Casa de Velâzquez, 12, 1976, p. 62. 69 Georges MARTIN, « La chute du royaume wisigothique... », p. 222 : « C'est une continuité entre royaumes qui est suggérée. La continuité ethnique de la royauté, la continuité institutionnelle de l'État, s'en trouvent interprétées non plus comme une relève [... ] mais comme une continuation historique globale ». 70 Claudio SÂNCHEZ-ALBORNOZ, Espana, un enigma histôrico, 2 tomes, Barcelone : Edhasa, 2000, p. 395-396. 71 Contra : Amancio ISLA FREZ, « La monarquia leonesa segun Sampiro », in : Maria Isabel LORING GARCIA (éd.), Historia social, pensamiento historiogrâfico y EdadMedia : homenaje alprofesor Abilio Barbero de Aguilera, Madrid : Orto, 1997, p. 56. La CN décrit l'entrée d'al-Mansur, causée par les péchés de Vermude au § 36 du livre II : « Igitur propterpeccata memorati principis Veremundi et populi supradictus rexMaurorumAlmazo una cumfilio suo [...] terram Christianorum disposuit intrare, disperdere, deuastare », p. 143. 72 Cette comtesse, séduite par al-Mansur et plus particulièrement par les attraits du pouvoir royal et non plus seulement comtal que celui-ci lui propose, trahit son époux : elle nourrit mal et engraisse le cheval du comte Garcia Fernândez qui tombe au combat et cause la mort de son cavalier. Libérée du pouvoir de son époux, la comtesse tente d'empoisonner son fils qui, averti, lui fait boire le poison, sous prétexte d'une courtoisie toute calculée. Pour des détails plus précis sur la Comtesse Traîtresse, vid. Ramôn MENÉNDEZ PIDAL, « Realismo de la epopeya espanola. Leyenda de la condesa traidora », in : Ramôn MENÉNDEZ PIDAL, Historia y epopeya, Madrid, 1934, p. 1-27. 73 Vid. Peter LINEHAN, History and the Historians of Medieval Spain, Oxford : Clarendon Press, 1993, etFrancisco BAUTISTA, « Pseudo-historia y leyenda en la historiografia medieval : la Condesa Traidora », in : Francisco BAUTISTA (éd.), El relato historiogrâfico : textosy tradiciones en la Espana medieval, University of London : Papers of the Medieval Hispanic research seminar, 48, p. 59-101 et en particulier p. 60. 74 CN : II, § 33, p. 140. 75 CN : II, § 36, p. 143. 76 CN : II, § 40 : « Que [Leôn] in statu felici annis DCVIpermanens primo in tempore Roderici ultimi regis Gotorum, quando tota fere periit Yspania, deinde tempore Veremundi regis podagrici ab Almanzor et eius filio Abdelmelich funditus est destructa », p. 147. 77 Pour une étude détaillée de la légende de la Comtesse Traîtresse dans la CN, vid. Francisco BAUTISTA, « Pseudo-historia y leyenda... », en particulier, p. 61-76. Sur le rôle des femmes dans le domaine politique et sur leur action historique dans la CN, vid. l'article de Georges MARTIN, « Mujeres en la Najerense » dans ce même numéro 7 de e-Spania, http://e-spania.revues.org/index17990.html. 78 CN, II, § 39 : « Almanzor, uirga furoris Domini super Christianos, nequaquam a perditione et persecutione Christiana desistens set et totam fere Castellam depredando, Castelle munitiones diruendo, perambulans in tantum eam afflixit quod eius terrore percussus comes Santius Garsie cum comitissa matre sua et sorore et cum omnibus suis in Plantaronem se mittere est coactus », p. 145. 79 CN, II, § 39 : [Sancius] « ex quo solo salus totius pendebat Hyspanie » ; « Tandem diuina miserante pietate et tam diram calamitatem a ceruicibus Christianorum auferre dignante ipse Almazor, quamuis permittente Deo peccatis Christianorum exigentibus [...] terram deuastasset, XIII regni sui anno post multas et horriferas Christianorum strages cum predicto comite Sancio confligens et fugam arripiens per medium crepuit et mortuus est in uilla que dicitur Graliare et sepultus est », p. 145 et 146. 80 Ramôn MENÉNDEZ PIDAL, La epopeya castellana a través de la literatura espanola, Buenos Aires : Espasa-Calpe, 1945, p. 43. Vid. également Francisco BAUTISTA, « Pseudo-historia y leyenda...» : « El relato se organiza a partir de la estructura de caida y redenciôn que [...] estaba ya presente en las historias leonesas al referir los éxitos de Almanzor y que gobierna también todo el relato de la pérdida de Espana. [...] Sin embargo, donde las fuentes previas se referian a Leôn, nuestra crônica alude exclusivamente a Castilla, convirtiéndola en el ultimo reducto de la cristiandad y en el lugar que, aun terriblemente saqueado, Almanzor no puede reducir completamente ni hacer suyo», p. 66 et 67. 81 Francisco BAUTISTA, « Pseudo-historia y leyenda. », p. 73. 82 CN, II, § 41 : « Quod ut ignorantibus clarius innotescat et eorum genealogia, quamuis alibi plenius disseratur, libet tamen hic aliquid, quantum ad presens pertinet, succinte et breuiter enarrare », p. 148. Rappelons brièvement que Ferdinand Ier (roi de Castille, 1035-1065 et roi de Leôn, 1037-1065) est le fils de Sanche III le Grand de Pampelune (1004-1035) et de Munia, sœur du comte de Castille Sanche Garcia (1017-1028) dont elle va hériter le comté de Castille. Il épouse Sancie de Leôn, sœur de Vermude III de Leôn (1028-1037), lequel meurt sans descendant. 83 CN, III, § 1 : « Gundisaluus Nuniz genuit comitem Fernandinum Gonzaluez, qui Castellanos de sub iugo Legionensis dominationis dicitur extrasisse », p. 149. 84 La mère de Ferdinand Ier, dans la CN est appelée Urraque (Urraque serait en réalité la fille de Fernân Gonzalez). Cette erreur, selon Ramôn Menéndez Pidal, est sans doute due à l'usage d'une source épique et non chronistique. Par ailleurs, la seigneurie de sa mère, une femme, sur le comté de Castille, est légitimée aux paragraphes 1 et 2 du livre III. 85 Ângel J. MARTIN DUQUE, « Sancho III de Navarra, rex Ibericus», in : Vicente PALACIO ATARD (éd.), De Hispania a Espana. El nombre y el concepto a través de los siglos, Madrid : Temas de Hoy, 2005, p. 110. (« La monarquia pamplonesa habia asumido como su propia razôn de ser la identidad "neogoticista" del reino ovetense, es decir, una clara intenciôn restauradora de la monarquia hispanogoda y su ordenamiento religioso y civil en un marco social radicalmente cristiano »). Vid. également, du même auteur, « La realeza navarra de cuno hispanogodo y su ulterior metamorfosis », in : Patrick HENRIET (dir.), À la recherche de légitimités chrétiennes. Représentations de l'espace et du temps dans l'Espagne médiévale (X-XIIFsiècle), Cahiers de Linguistique et de civilisation hispaniques médiévales, annexe 13, Lyon : ENS Éditions-Casa de Velâzquez, 2003, p. 225-244. En particulier p. 230, l'auteur précise que dans le codex de Roda, « de modo simbôlicamente muy expresivo se ofrecia asi una réplica pamplonesa de la reinstauraciôn ovetense del orden gôtico atribuida a Alfonso IIpor la Crônica Albeldense ». 86 CN, III, § 6 : « Fernandus rexpostquam mortuo fratre et cognato omne regnum sine obstaculo dictioni sue subactum uidet, iam securus de patria reliquum tempus in expugnandos barbaros et ecclesias Chrisi corroborandas agere decreuit ». 87 Sur cette expression regia potestas, vid. Juan Ignacio RUIZ DE LA PENA SOLAR, « La realeza asturiana y la formulation del poder regio », in : La época de la monarquia asturiana. Actas del simposio celebrado en Covadonga (8-10 de octubre de 2001), Oviedo : Real Instituto de estudios asturianos, Principado de Asturias, 2002, p. 163-201. Vid. également Suzanne TEILLET, Des Goths à la nation gothique..., p. 542. 88 CN, II, § 3 : « Quod ut rex <Cordobae> audiuit, uesanie ira commotus hostem innumerabilem ex omni Yspania exire precepit », p. 99 ; § 23, Alphonse III « Sarracenos impugnaturus exercitum mouit et Yspaniam intrauit », p. 122. 89 Alphonse, lors de son exil à Tolède, avait déjà projeté cette conquête. Vid. CN, III, § 15 : « set dum ipsam urbem quasi spatiando perlustrat, quomodo eam Deo iuuante posset capere corde sollicito, ore tacito meditatur », p. 174. 90 CN, I, § 211 : « Vrb[i]s quoque Toletana gentium uictrix... », p. 97. 91 Donation par Alphonse VI à l'archevêché de Tolède du district de Sepûlveda (a.°1107), in : Andrés GAMBRA (éd.), Alfonso VI, cancilleria, curia e imperio, 2 : Colecciôn diplomâtica, Leôn : Centro de estudios e investigation « San Isidoro », 1998, n° 188, p. 478-481, « Ego Adefonsus, Dei gratia totius Ispanie imperator», et « [...] Toletanam /regiamque urbem, expulsopaganorum ritu sub Dei misericordia», p. 479. 92 Donation par Alphonse VI (a. 1086), in : Andrés GAMBRA (éd.), op. cit. : « Concedo sedi metropolitane [...] honorem integrum ut decet abere /pontificalem sedem secundum quodpreteritis temporibus fuit constitutum a sanctis patribus. Que ciuitas abscondito Dei iudicio CCC LXXVI annis possessa fuit a mauris, Christi nomen comuniter blasfemantibus ;quod ego intelligens esse opprobrium ut, despecto nomine Cristi abiectisque christianis atque quibusdam eorum gladio seu fame diuersisque tormentis mactatis, in loco ubi sancti nostri patres Deum fidei intencione adoraberunt meledicti Mahomet nomen inuocaretur, postquam parentum meorum, uidelicet patris mei regis Fredenandi et matriis mee Sancie regine, Deus mirabili ordine michi pecatum tradidit imperium, bellum contra barbaras gentes asumsi. [.] Tunc ego, residens in imperialiaula (.) summa curare cepi diligencia quomodo Sancte Marie, genitricis Dei inuiolate, que olim fuerat preclara recuperaretureclesia.[.]Hoc autem etiam aduc ad cumulum honoris addo, ut episcopos et abbates seu et clericos mei imperii », p. 227-228. 93 Juan GIL, Crônicas Asturianas..., p. 67 : « Podia tener lugar la transmisiôn de un reino desde su centro a la periferia. Hemos de suponer, pues, que para la cancilleria de Alfonso III se produjo, a raiz del 711, una translatio regni ». 94 Luis A. GARCIA MORENO, « Patria espanola y etnia goda (siglos VI-VIII) », in : Vicente PALACIO ATARD (éd.), De Hispania a Espana. El nombre y el concepto a través de los siglos, Madrid : Temas de Hoy, 2005, p. 41-42. 95 Thomas DESWARTE, De la destruction à la restauration p. 209. 96 José Antonio MARAVALL parle de « la herencia goda como hilo ininterrumpido de la continuidad hispânica », in : El concepto de Espana en la Edad Media, surtout le chapitre VI « La tradition de la herencia goda », p. 113 et suivantes. 97 José Antonio MARAVALL, op. cit., p. 316. 98 Les indices qui pourraient aller à l'encontre de la thèse néo-wisigothique dans la CN touchent le royaume de Leôn. En effet, alors qu'Hélène Sirantoine, dans un article publié également dans e-Spania 7 (http://e-spania.revues.org/index18291.html) souhaite démontrer que, par rapport à ses sources astur-léonaises, la CN s'éloigne du néo-gothisme, il me semble logique qu'un (des) auteur(s) qui défende(nt) la Castille amenuise(nt) le néo-gothisme léonais pour mieux souligner le néo-hispanisme castillan.
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