"On évitera donc l'erreur tres grave d'identifier tout simplement la classe cléricale avec une classe cultivée tout entiere sous l'emprise de la religion savante. ..Il faut distinguer entre religion populaire et religion savante à l'intérieur de la classe sacerdotale elle-même" (1). |
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problemes de methode |
Je serai relativement bref car mon propos n'est pas d'étudier ici les traits de culture populaire (et plus précisément de religion populaire) qui apparaissent dans l'oeuvre de Berceo. Je voudrais seulement poser une série de problemes théoriques et méthodologiques et fournir quelques orientations bibliographiques de départ.
Du 17 au 19 octobre s'est tenu à Paris un congres international consacré à "La religion populaire". Le theme n'était pas tout à fait nouveau (2) mais il est devenu depuis peu à la mode si l'on en juge par l'abondance des publications récentes. Qu'il suffise de citer, pour l'Espagne, celles de Luis Maldonado et Rosendo Alvarez Gaston (3), et, pour la France, les ouvrages de Lacroix, Boglioni, Pannet, Bonnet, Plongeron et autres spécialistes (4).
Inutile de proposer une définition du populaire; d'autres s'y sont essayés en vain avant nous. Essayons plutôt de souligner la spécificité du religieux à l'intérieur de cette réalité plus vaste que constitue la culture populaire. Tout savoir implique un pouvoir comme l'ont excellemment montré les récentes études de Bakhtine, De Certeau, Soriano (5). Ceci vaut évidemment pour le domaine religieux comme le prouvent les travaux de Yves-Marie Bercé et surtout de lean Delumeau (6). Tout comme les historiens de la société parlent de classes dominantes et de classes dominées, on distingue aujourd'hui, pour chaque époque, des niveaux de culture différents et l'on oppose à la culture, à la littérature, à la religion dominante une culture, une littérature, une religion dominée. On s'efforce de faire apparaitre le jeu d'influences réciproques entre le populaire et le savant, la dialectique du prescrit et du vécu, les phénomenes d'osmose, d'affrontement, d'adaptation, de rejet qui constituent la trame même de l'histoire. Mais ce qui complique l'analyse dans le domaine religieux, ce qui rend plus difficile la compréhension du passé, c'est que ceux qui exercent le pouvoir dans l'Eglise, incament l'Institution ecclésiale et définissent le prescrit ne sont pas nécessairement ceux qui détiennent le pouvoir culturel ou politique dans la société. En d'autres termes, les clivages religieux ne correspondent pas toujours aux clivages sociaux. Aux distinctions que connaît la société vient, dans l'Eglise, s'en ajouter une autre, celle des clercs et des laïcs, qui ne recoupe ni celle du savant et du populaire, ni celle du dominant et du dominé. Il est évident que les laïcs sont en général, dans l'Eglise, en position subalteme: la distinction faite par les théologiens entre une Eglise enseignante et une Eglise enseignée le montre parfaitement. Au Moyen âge, en particulier, le savoir, c'est-a-dire le pouvoir, est l'apanage des clercs. Ceci est bien connu. Mais on n'a pas suffisamment insisté sur le fait que d'une part la religion des laics, dans la mesure ou elle se distingue de celle des clercs, n'est pas toujours en position d'infériorité; ce n'est pas toujours une religion dorninée, sur la défensive. Il faudrait étudier, mieux qu'on ne l'a fait jusqu'ici, la créativité de la religion populaire qui tient sans doute à ce caractere festif sur lequel nous reviendrons. Ici s'expriment les valeurs de l'imaginaire religieux que l'effort de rationalisation des théologies à rejeté dans l'ombre mais n'a pas étouffé. Inversement, si la religion officielle est bien, en général, celle des classes supérieures, elle n'en professe pas moins un égalitarisme fondamental. Souvent ses prédicateurs sont eux-mêmes issus du peuple. Cette religion ad usum populi constitue certes une forme de domination culturelle et sociale, mais son ambition est d'être librement reçue, non imposée, ce qui implique parfois une pastorale de compromis assez différente de cette "pastorale totalitaire" et de cette "catéchèse de la peur" dont parle J. Delumeau.Ces remarques montrent assez qu'il est impossible d'étudier séparément religion savante et religion populaire. Ce qui doit être objet d'analyse ce sont les tensions, les rapports dialectiques. Il y a d'une part la théologie, l'appareil ecclésiastique, la tradition; d'autre part les aspirations des masses, l'inconscient et la mémoire collective. L'ensemble constitue une réalité conflictuelle, mouvante, qui doit étre étudiée à la fois en synchronie ca une époque donnée) et en diachronie (dans le temps). Ceci conduit à une remise en question de criteres jugés jusqu'ici efficaces comme celui d'orthodoxie, ou de notions réputées claires comme celle de superstition. A trop parler de "pur christianisme" ou de "vrai christianisme" on se condamne à rejeter hors de l'Eglise mille formes de piété jugées non-conformes à la norme, à marginaliser la religion populaire, comme si l'Eglise n'était pas une lnstitution de multitude faite pour le salut des multitudes.
Je le dis d'autant plus volontiers que je suis moi même tombé dans cette erreur. Et ceci me ramène, apres ces remarques d'ordre général, à Gonzalo de Berceo. Etudiant voici quelques années l'économie du salut dans les Milagros de Nuestra Señora (7), je constatais que l'oeuvre de ce grand poete, théologiquement incohérente, ne répondait à aucun des criteres d'orthodoxie, et j'expliquais cela par le genre "festif" du recueil, par le contexte de l'époque, par la passion du jongleur, par la fidélité au modele suivi, etc... Mais ne serait-ce pas qu'il est aberrant de vouloir appliquer ce critere à une oeuvre comme le miracle? Le souci d'orthodoxie ne risque-t-il pas de conduire à poser de faux problemes et à dissimuler les vrais? L 'obsession de la cohérence n'est-elle pas aussi dangereuse pour l'historien que celle des origines, des filiations et des définitions?
La vraie question est plutôt de savoir si les déviations constatées par rapport à la tradition reçue sont d'origine populaire ou savante. Le probleme est d'ordre général, c'est celui des rapports entre hérésie et religion populaire. Les hérésies du haut Moyen âge sont presque toutes d'origine savante et cléricale; les déviations du bas Moyen âge se rattachent le plus souvent à la religion populaire. Dans le cas de Berceo on à affaire à des theses hétérodoxes sans aucune prétention subversive: le poete ne conteste pas l'autorité de l'Eglise, il ne construit pas une doctrine cohérente, il donne seulement le pas aux convictions sur les spéculations, aux pratiques sur les doctrines (8). Si déviations il ya, elles résultent de la convergence entre les aspirations des masses et la volonté des clercs. II est certain, en effet, que la religion .du poete présente les caractéristiques de la religion populaire: "religion en perpétuelle attente du miracle, tellement que celui-ci finit par apparaitre naturel et perd de sa transcendance et de sa signification. Religion anthropocentriste, plus occupée du salut, de quelque maniere qu'il soit conçu, que de la louange de Dieu. Religion séparée de la morale et réduite soit au culte soit aux bonnes oeuvres" (9). Mais l'hétérodoxie qui affleure n'est pas pour autant fidélité aux traditions ancestrales, reflet des croyances populaires, résurgence du paganisme ou retour à la magie primitive. Dans le cas de la mariologie, par exemple, il est évident que "les erreurs qu'on dénonce dans les écoles sont péchés de savants, non de simples" (10). On constate ainsi qu'il y a convergence entre des aspirations d'origines différentes, confluence entre le populaire et le savant, correspondance entre les exigences religieuses du peuple et les développements de la théologie. Les clercs s'efforcent peut-être d'apprivoiser les résurgences palennes, de résorber les croyances en voie de marginalisation. Pour maintenir les foules dans le sein de l'Eglise illeur faut accueillir certaines formes populaires de dévotion. La pratique évangélisatrice impose de réels efforts d'adaptation culturelle. II en résulte une vulgarisation des modeles culturels savants qui ne facilite pas le travail lorsqu'on veut faire le partage entre éléments populaires et éléments savants.
Dans le cas de Berceo l'étude de ce partage est particulierement intéressant. Le probleme se pose ici en termes de niveaux de culture, c'est-a-dire de groupes sociaux. Le poete est partagé entre ses origines populaires et son appartenance à la caste cléricale. En lui s'incarne de façon très nette cette dialectique du populaire et du savant dont je parlais en commençant et qui s'exprime littérairement par ces incessants échanges entre le Mester de clerecía et le Mester de juglaría. A cet égard, l'attitude singulierement ambigüe de Berceo vis-a-vis des jongleurs est tout à fait significative et doit être étudiée sur des bases nouvelles. R. Manselli à fort justement souligné que la caste cléricale n'est pas, au Moyen âge, une caste homogene, que les clercs appartiennent à des niveaux de culture tres différents les uns des autres et qu'on trouve dans leurs écrits des formes de religion populaire aussi bien que de religion savante. Si la classe sacerdotale est ainsi le lieu où tantôt convergent et tantôt s'opposent des influences venues d'horizons intellectuels et sociaux différents, le Mester de clerecía doit être considéré comme un lieu privilégié pour l'étude des rapports dialectiques entre culture populaire et culture savante. On à beaucoup écrit sur le public de Berceo, mais on n'a pas assez remarqué que les rapports du poete avec son auditoire sont à l'image de ceux que le clergé pouvait entretenir avec les fideles: ce ne sont pas seulement des rapports antithétiques, mais aussi d'interdépendance et d'influen- ces réciproques. L 'auteur des Milagros fait indubitablement partie du monde culturel de son temps, mais il n'en est pas moins sensible aux aspirations et aux exigences de la masse des fidèles à laquelle, tel un prédicateur, il s'adresse. La comparaison avec la prédication n'est pas d'ailleurs fortuite. Dans un cas comme dans l'autre on assiste à des phénomenes d'acculturation, de résistance, de concession, d'adaptation et d'osmose entre religion populaire et religion savante (11).
Si l'on en croit les dernières recherches effectuées, Berceo fut Notario de l'abbé de San Millán puis Maestro de confesión de Garci Gil. Le titre de Maestro qu'il se donne lui-même dans ses poemes est sans doute un titre universitaire: il a étudié à Palencia et, par son savoir comme par son état, il est du cóté du magistere, c'est-a-dire du pouvoir. Mais, je l'ai dit, le clergé n'est pas nécessairement élitiste. Il est des clercs qui défendent, soutiennent les formes populaires de dévotion. Berceo est clerc et fier de l'être, mais il sait que sa culture est limitée. Il lit et entend le latin mais éprouve parfois de terribles difficultés avec cette langue obscure (Santo Domingo, 609). S'il écrit en romance c'est pour être mieux compris du peuple mais c'est aussi "ca non so tan letrado por fer otro latino" (S.D., 2). A l'égard des jongleurs il partage le jugement défavorable de l'Eglise de son temps, mais il les imite, se présentant, lui, le Maestro, comme un juglar a lo divino. La notion de clerecía se présente chez lui de façon particulierement ambigüe et revet tantôt un contenu social, tantôt un contenu culturel. Il existe un style, une culture qui n'est pas celle des jongleurs et qui définit le clerc, mais le parler des clérigos est opposé tantót à celui des juglares, tantôt à celui des seglares. Berceo joue sur les deux sens du mot quand, dans les Milagros, il nous dit: "Era un simple clérigo, pobre de clerecía" (220): c'était un simple prêtre, de culture bien limitée. Le Libro de Alexandre est moins ambigu à cet égard et prend le mot en son acception culturelle:
"Mester trago fermoso, non es de juglaría
Mester es sen peccado ca es de clerezia" (2)
"Maestro, diz, tu me crieste, por ti sé clerezía" (36)
"Fijo eres de Rey, as grand clerezÍa" (47)
"En ti son ajuntados Séso y clerezÍa" (214)
"Sé bien todas las artes que son de clerezia" (1012)López Estrada à remarqué que le Mester de clerecía est un art de compromis qui puise à des sources latines mais s' exprime en romance, se veut savant mais poursuit un but de vulgarisation, est composé pour être récité mais inaugure le culte de l'écrit. Ces contradictions sont celles même de Berceo et des clercs de l'époque. Il est certain que l'opposition du populaire et du savant ne se réduit pas à celle de l'oral et de l'écrit. Mais voyez comme Berceo, holÍ1me du peuple et homme d'Eglise, maestro de clerecía et juglar a lo divino, oppose le sérieux de l'écrit à l'art súperficiel des diseurs de poemes:
"El escripto lo cuenta, non juglar nin cedrero" (S.D. 701).
Les catégories esthétiques renvoient ainsi à des catégories intellectuelles et sociales. Les mêmes contradictions animent les unes et les autres. Ne cherchons donc pas des cohérences qui pourraient n'être que création d'historien. La difficulté est au contraire que, chez Berceo, poete tres désireux de faire une oeuvre d'art, les exigences de style viennent constamment infléchir la pensée. Si l'on veut retrouver les expressions populaires de piété il faut donc radiographieI les textes, chercher au-dela de ces faux-semblants qu'introduisent les exigences de l'art ou la volonté d'orthodoxie. Car les formes popuaires de religiosité ne sont ni formalisées ni institutionnalisées, elles n'ont pas de corps doctrinal, elles s'attachent aux pratiques plus qu' aux normes et se caractérisent par une double indifférence à l'égard de la Doctrine et de l'Institution.
Plusieurs méthodes, bien entendu, s'offrent à nous pour cette approche. J'en signale deux qui correspondent à des recherches effectuées sous ma direction. On pourrait étudiei d'abord le vocabulaire de Berceo, l'analyse sémantique constituant une base sure pour l'histoire des mentalités (12). D'une façon générale l'objet des sciences humaines est désormais le langage. L'analyse des champs sémantiques en rapport avec les structures sociales d'une époque doit permettre "de restituer les cohérences d'une spicitualité, ses permanences et ses déformations, ses transferts et ses innovations" (13). Le récent ouvrage de André Godin a montré tout le profit que l'histocien peut tirer d'une quantification du vocabulaire et de l'élaboration d'une grille sémantique. C'est que les niveaux de langage renvoient a des niveaux de culture et que les stratifications sémantiques correspondent grosso modo a des stratifications sociales (14).
Un travail sur le vocabulaire et sur la langue de Berceo pourrait constituer une heureuse contribution a l'histoire des mentalités au XllIº siecle et a l'étude des rapports entre la linguistique et l'histoire (15). Il s'agit d'un domaine de recherche tres neuf et donc passionnant. Marc Bloch avait entrevu l'intéret des études sur les mots. Dans son Apologie pour l'histoire il proteste contre les histociens ignorant "les acquisitions fondamentales de la linguistique" et son étude sur La société féodale débute par une véritable enquete lexicographique (16). Lucien Febvre, autre visionnaire, écrivait dans Combats pour I'Histoire: "Langage, autre voie cardinale d'acces au social dans l'individu" (17). On s'étonne donc que les histociens n'aient pris conscience que tres récemment de l'importance des sciences du langage. Certains, brulant les étapes, voudraient y voir aujourd'hui une sorre de métopde miracle, une Panacée universelle. Il faut faire montre de plus de prudence. Maurice Molho remarque a juste titre, pour les linguistes, qu'il faut "renoncer a considérer la linguistique comme une science autonome", que "la scjence du larigage n'est aucunement une magie, et qu'il ne faut en attendre aucune lumiere excessive" (18). Régine Robín, pour les historiens, nous met également en garde contre les illusions, les confusions et les malentendus, dénonçant ceux qui prétendent échanger les incertitudes méthodologiques de l'histoire des mentalités contre les certitudes de la quantification lexicographique ou de l'analyse du discours: "La linguistique, écrit-elle, si elle décrit le texte, si elle dit ce qu'il y a dans le texte, son agencement interne, ne nous en donne pas la clé ni la fonction" (19). La linguistique est d'ailleurs la science de la langue, non du discours. Or "la langue est indifférente a toute situation et, étant la chose du monde la mieux partagée, elle ignore le sujet" (20). Comment pourrait-elle rendre pleinement compte du discours historique?
Mais il ne faut pas non plus tomber dans un trop grand pessimisme. Même si elles reposent sur des assises théoriques ericóre incertaines, la socio-linguistique et la lexicologie offrent a 'l'historier de vastes possibilités (21). Sapir a raison de rappeler qu' "il ne faut pas chercher de relation causale unissant étroitement les changements culturels et les changements linguistiques" (22). J. B. Marcellesi souligne également a juste titre que "les structures socio-culfurelles et les structures linguistiques sont loin d'être isomorphes" (23). Mais est ce une raison pour renoncer tout-a-fait au propos ambitieux d'expliquer une société par l'éfude de ses vocabulaires? Une sémantique historique est en cours de constifution. "Le langage, écrit A. Dupront, est le butin naturel et nécessaire de l'historien". Et il ajoute: "(Jüsqu'à présent) l'historiographie a traité le langage de la façon la plus brute et la plus extérieure, braquée sur ce qu'il disait, non sur ce qu'il voulait dire" (24). De nombreux historiens s'efforcent aujourd' hui de scroter le langage, la naissance des mots et leur disparition. Or scruter le langage c'est scroter l'inconscient, restituer ce que Dupront appelle l'irrationel, le panique, I'extraordinaire, le sublime, le marginal. C'est dénoncer et dépasser les lectures purement causales et linéaires de I'Histoire, le continuisme simpliste. Les limites d'une telle méthode sont évidentes. On postule en effet la totale transparence du discours, une immédiateté du sens qui n'exista jamais. On feint d'oublier les phénomenes de masquage, de simulation et de connivence qui caractérisent tout discours, le fait que celui-ci vaut par ce qu'il tait ou déguise plus que par ce qu'il dit. On suppose que le sujet qui parle est sans inconscient, sans appartenance sociale, sans idéologie et qu'à travers lui se révèle la structure objective des rapports sociaux. On fait comme si les changements culturels et les changements linguistiques suivaient un même rythme, on tient pour certaine la covariance, l'homologie entre ces deux types de stroctures alors que I'articulation entre la pratique discursive et l'ensemble des pratlques sociales, les rapports entre langages et idéologies n'ont pas encore été définis sur des bases théoriques sures. Mais, même si l'on refuse l'isomorphisme simpliste selon lequel chaque groupe social serait attaché a un vocabulaire spécifique, on peut tirer profit du recours aux méthodes statistiques (25). C'est par là qu'il faut commencer si l'on souhaite pouvoir définir un jour la façon dont les pratiques discursives s'inserent dans les pratiques sociales. D'autres diront ensuite si, a un niveau plus complexe, on peut établir un rapport étroit entre stroctures linguistiques et stroctures des groupes sociaux (26).
Je n'en dis pas plus sur l'approche linguistique des textes, n'étant pas spécialiste de ces questions. J'ai parlé tout a l'heure de deux méthodes possibles; je n'évoque la seconde qu'en passant. Il serait intéressant de procéder a une étude comparée des textes et des documents iconographiques portant sur les mêmes themes et datant de la même époque ou d'époques différentes. L 'iconographie constitue en effet le commun langage entre la culture savante et la culture populaire. Elle est, comme la littérature hagiographique, un miroir des angoisses et des aspirations de tous, des plus haut-placés comme des plus humbles. Elle témoigne, bien sûr, de la volonté acculturante de ceux qui possedent le savoir, mais elle nous restitue aussi les pulsions profondes des masses (27). Elle constitue un lieu privilégié pour étudier la dialectique du populaire et du savant car elle nous renseigne, comme les récits de miracles et comme les vies de saints, sur les besoins religieux, les intentions et les mentalités des différentes couches de la société. Emile Male à écrit des pages magnifiques pour montrer que l'art fut au Moyen âge une écriture, les cathédrales "la Bible des pauvres" .Si véritablement "le meilleur de la pensée du XlIIº siecle a revétu une forme plastique" on comprendra qu'il est impensable de ne pas interroger les innombrables représentations artistiques ou l'Eglise enseignante semble dialoguer avec l'Eglise enseignée. Dans le cas de Berceo, l'étude des vies de saints et des récits de miracles devrait être menée en parallele avec celle des représentations auxquelles ces vies et ces miracles ont donné lieu (28). L'hagiographie est au Moyen âge une forme d'enseignement; l'art est également conçu comme un enseignement. Entre l'une et l'autre les liens sont donc nécessairement multiples.
Je ne m'étendrai pas sur les problemes d'histoire de l'art qui sortent de ma compétence. Je voudrais par contre insister sur les rapports entre hagiographie et culture populaire.L'essentiel de la poésie de Berceo est composé d'écrits consacrés a la Vierge et aux saints. Les oeuvres doctrinales (Sacrifiçio. Duelo, Himnos, Loores, Signos) sont breves et relativement moins importantes. Or le culte de la Vierge et celui des saints constituent deux axes majeurs de la dévotion populaire au Moyen âge. Le premier n'est pas d'origine populaire, "il ne surgit pas de la poussée religieuse des masses mais comme un moment du développement théologique de la christologie" (29). C'est un phénomene d'origine savante. Au XIIº siecle, les théologiens, toujours plus attentifs a l'humanité du Christ, confèrent une importance grandissante au culte de sa Mère. Mais cette évolution théologique se répercute très vite sur la religiosité populaire, ce qui explique l'erreur de beaucoup d'historien sur l'origine "populaire" de la piété mariale. Des le XlIIº siecle la vulgarisation des schémas savants est effectuée. La spéculation des clercs a déja pénétré la religion populaire et modifié les sentiments et attitudes des masses. On n'a plus alors affaire à une théologie cohérehtec mais a un ensemble de croyances dépourvu d'organisation systéinatique. L 'oeuvre mariale de Berceo, dans laquelle j'ai cru déceler des influences savantes comme celle de Saint Bernard ou de la liturgie mozarabe (30), doit être replacée dans ce contexte d'évolution rapide. On voit sur cet exemple précis comment culture savante et culture populaire peuvent parfois se rencontrer, comment des motivations distinctes peuvent confluer vers un même but. R. Manselli a montré que le succes de la réforme grégorienne ou celui de la prédication de Saint François s'expliquent par des phénomenes du même ordre (31).
Le genre du miracle pose des problemes différents. Ici le processus est inverse (32). On sait le goût des foules pour tout ce qui est sumaturel ou merveilleux. Mais voici qu'au XlIIº siecle le miracle devient objet de discours théologique, il trouve place dans une explication savante du monde dominée par la notion de Providence divine. Les croyances populaires se trouvent alors apprivoisées, domestiquées mais aussi dignifiées, justifiées. On assiste à une nouvelle osmose entre religion populaire et religion savante. Chez Berceo, je l'ai dit, le miracle n'a plus rien de magique ni même de surnaturel, il est voulu pár Dieu, il entre dans les desseins de la Providence, il est nécessaire, justifiable et donc naturel. Dans son effort pour exorciser le drame et pour endiguer les forces de l'irrationnel, la religion populaire a été secondée ici par la réflexion des. théologiens. Est-ce à dire que le succes de l'acculturation ait été total? S'il en était ainsi les récits de miracles n'offriraient plus guère d'intérêt pour l'historien alors que si beaucoup de ces miracles ne sont, il est vrai, que la répétition de schémas stéréotypés, d'autres nous permettent de saisir "avec une extraordinaire fraicheur et sans intermédiaire les aspects, les formes, les exigences, les craintes et les espoirs de la religion populaire" (33).
Ceci est d'ailleurs vrai de la littérature hagiographique dans son ensemble. La part des clercs a sans doute été prédominante dans la formation de l'idée chrétienne de sainteté. Mais l'étude de l'insertion et de la réception de cette idée par les mentalités populaires montre que ceIles-ci ont également joué un róle important. Certains se sont demandé si le culte des saints ne serait pas d'origine païenne (34). D'autres estiment que le christianisme n'a pas hésité a utiliser des éléments magiques pour favoriser la diffusion de la foi (35). Ce qui est sur c'est que la littérature hagiographique est ambivalente par essence puisqu'eIle est l'oeuvre des clercs mais s'adresse -au moins indirectement- aux masses: ceIle des clercs, d'abord, et, par leur canal, ceIle de tous les fideles. Dans cette littérature d'encadrement iI n'est pas étonnant qu'apparaissent les contraintes cultureIles, les volontés politiques, les exigences didactiques ou morales. Mais il ne faut pas y voir que cela. Ces documents ne sont pas seulement a rattacher aux archives de la répression. lIs constituent aussi, et de loin, la source la plus importante, quantitativement et qualitativement, pour l'étude de la religion populaire. Les oeuvres de Berceo, même entachées si l'on ose dire par leur propos poétique, sont à cet égard des documents passionnants, au travers desquels j'ai pu étudier par exemple l'antisémitisme des clercs espagnols du milieu du XllIº siecle (36).
Ce sont les grandes masses qui ont, sinon inventé, du moins donné sa place primordiale au culte des saints. "Dans tous les faits majeurs qui dominent son histoire, remarque P. Boglioni (reliques, pèlerinages, patronages, miracles), la spéculation théologique et la mise-en-ordre cléricales me paraissent nettement postérieures a la création populaire et incapables d'en changer les orientations fondamentales" (37). La lecture des recueils de miracles montre, de fait que I'apprivoisement théologique et spirituel de I'hagiographie laisse assez clairement subsister I'apport populaire originel et que ces récits sont incompréhensibles sans la référence a la mentalité populaire. Par-dèla les composantes rédactionnelles (le souci du style, la préoccupation littéraire, si forte chez Berceo) ou idéologiques (théologie) d'origine savante I'historien doit donc mettre en lumiere le substrat de I'expérience religieuse populaire. Car, par-dela la médiation idéologique cléricale, le peuple, dans ces discours, nous fait entendre sa voix presque directement. On trouve la des témoignages précis sur le christianisme vécu qui relèvent de I'analyse socio-économique ou de I'histoire des mentalités (38). Les Miracula sont un peu le journal du peuple, le miroir de la chrétienté d' une époque, ou la voix des humbles se laisse percevoir malgré I'encadrement idéologique et les conditionnements littéraires. Les vies de saints, malgré I'abondance des clichés panégyriques, ne sont pas toujours d'un type conventionnel Elles renvoient a des croyances bien réelles, a un milieu ou a des niveaux de culture concrets. On y découvre, entre autre, I'image que le peuple se fait de ses saints, ce qu'il attend d'eux, comment il les invoque et comment il les remercie. L 'analyse des rapports ainsi établis nous renseigne sur certaines composantes essentielles de la religiosité: la conception de I' Au-delà, la représentation de la mort ou de la souffrance, la croyance au démon, I'idéal de sainteté tel qu'il était présenté. ..et tel qu'il était reçu (39). Ne nous cachons pas que les Miracles de Berceo ou ses Vies de saints constituent, de ce point de vue, des documents moins directs, des miroirs moins parfaits que les proces de canonisation, les récits d'invention ou de translation de reliques, les Vies de pieux éveques que nous a laissé le Haut Moyen âge. Ici s'interpose l'écran supplémentaire du style, de la recherche du style. L'expression des sentiments ou des croyances est infléchie parfois par la recherche des cohérences psychologiques ou doctrinales, par celle de l'effet esthétique. Mais' si cela complique notre tâche, cela ne la rend pas impossible.
Ceci dit, il faut bien poser quelques limites. La littérature hagiographique est-elle une littérature populaire ou ad usum populi? Nous sommes ramenés malgré nous a un probleme de définition. Dans la remarquable introduction a son livre sur les sources folkloriques de Cervantes, M. Molho écrit: "Una literatura frente a la cual el pueblo se encontraría en posición de receptor y no de emisor, no sería -y de hecho no es- literatura popular: es mas bien, pues existe, literatura popularizada e incluso populista". Et, reprenant les theses de Gramsci, il ajoute: "La literatura popular es, pues, la del pueblo subalterno e instrumental, frente a la literatura culta que, en todas sus manifestaciones, tiende a definirse como la del grupo hegemónico" (40). Ce critere rigoureux mérite d'être retenu. On ne saurait, en effet, confondre l'infralittérature populariste, représentée par exemple par les pliegos de cordel (41) et destinée en réalité a divertir et tranquiliser les groupes majoritaires de la société, avec la littérature issue du peuple. M. Molho a donc raison d'affirmer: "En nuestras civilizaciones conviven y se conllevan dos literaturas que, sin ser antagónicas, son radicalmente alógenas: cada una tiene su propio circuito, su modo peculiar de existir y de desarrollarse, incluso en los casos en que el material temático pertenece indiscriminadamente a las dos".
Dans le cas des écrits hagiographiques le peuple est indubitablement plus receptor qu'emisor. Mais ces écrits sont a double face: produit de l'élite cultivée, ils refletent aussi les croyances et les pratiques des masses. L 'hagiographie, a-t-on dit, est entrée dans la littérature ecclésiastique comme par effraction. Considérée dès l'origine comme douteuse et dangereuse elle fut récusée par les clercs au titre des erreurs relevant de la superstition ou de l'ignorance populaire alors qu'elle était l'oeuvre de ces mêmes clercs. Il ne faut pas s'en étonner. L'orthodoxie a toujours réprimé la fiction et jugé l'imagination dangereuse. La censure ecclésiale a donc tout naturellement condamné les vies de saints, au nom d'une norme d'ailleurs variable, tantôt liturgique ou dogmatique, tantôt historique ou morale. Parallelement, ces écrits étaient tolérés, voire encouragés a cause de leur caractere exemplaire et didactique. C'est dire que leur étude releve d'une analyse sociologique, non théologique. "Cristallisation littéraire des perceptions d'une conscience collective" (42), ils constituent en fait des documents sociologiques dont il faut étudier la place, le fonctioIÍnement et la signification dans la société. Si l'on s'attarde a dé- noncer l'inexactitude des faits rapportés ou les incohérences de la doctrine, c'est-à-dire si l'on a recours a un critere historique ou théologique, on se condamne a laisser échapper l'essentiel. Car cette fiction mise au service de l'exemplaire ignore les contraintes de la vraisemblance autant que celles de l'orthodoxie. "La vie des saints, remarque Michel de Certeau, apporte a la communauté un élément festif. Elle se situe du côté de la détente et du loisir...Elle ne se trouve pas du côté de l'instruction, de la norme pédagogique, du dogme. Elle divertit. A la différence des textes qu'il faut croire ou pratiquer elle oscille entre le croyable et l'incroyable, elle propose ce qu'il est loisible de penser ou faire" (43). le dirais tout simplement qu'elle est fille de l'Imagination, non de la Raison. Elle est faite pour etre lue les jours de fete, a l'óccasion des pelerinages, lors des repas. Elle offre ainsi un caractere de gratuité et de liberté qui permet de la rattacher a cette "fete" dont historiens, théologiens et ethnologues nous montrent aujourd'hui toute l'importance (44).
Poésie de pelerinage, l'oeuvre de Berceo est indubitablement de caractere festif. Elle l'est par sa destination, elle l'est aussi par son caractere hagiographique et marial (45). II est donc plus utile de s'interroger sur le statut et la fonction de ces poemes dans la société espagnole de l'époque que de disserter sur la doctrine ou les intentions du poete. De ce point de vue, les brillants travaux de Brian Dutton ont renouvelé les études bercéennes (46). La these selon laquelle l'oeuvre de Berceo, de caractere fortement local, serait une oeuvre de propagande destinée a attirer les pelerins au monastere de San Millán afin de rétablir une situation économique compromise, ouvre la voie a des recherches novatrices, elle constitue en tout cas un modele et un point de départ.Car on peut se poser des questions plus ambitieuses encore, concernant non seulement la poésie de Berceo mais le Mester de clerecía en général. Dans l'histoire des sociétés on constate que l'instauration d'un savoir nouveau est en général liée a l'apparition d'une nouvelle institution; que le développement des disciplines scientifiques est souvent lié a la création de certains groupes ou, comme disent les spécialistes, que les découpages épistémologiques sont indissociablement intellectuels et sociaux. "C'est un même mouvement, écrit M. de Certeau, qui organise la société et les idées qui y circulent" (47). On le voit bien au XVIllº siecle: en Espagne il est clair que la diffusion de La Ilustración n'aurait pas été possible sans la création des sociedades económicas de Amigos del País (48). En France, de même, l'affirmation de l'idéologie des Lumieres se fait par le canal des salons et des académies (49), "lieux de gommage des contradictions réelles;.., lieux clos et protégés ou l'égalité peut ludiquement se constituer" (50). Pour le Moyen âge ibérique le même probleme doit être posé, même s'il n'est pas encore possible d'apporter une réponse claire. De quelle organisation, de quelle institution sociale le Mester de Clerecía est-il l'émanation? Quel pouvoir se déguise sous le savoir des clercs? A quelle entreprise d'acculturation correspond la croisade pédagogique du Mester de Clerecía, ses grandes campagnes de vulgarisation? Plus précisément, quelle situation socio-culturelle refletent les "convictions personnelles" du poete? Quelle géographie sociale, comme on dit, nous dissimule la géographie des idées et des sentiments? Pour répondre a ces questions il faut naturellement étudier les textes a la lumiere de ce que nous savons de la stratification sociale de l'époque, mais en se gardant de tout simplisme et en évitant les pieges les plus gros, celui par exemple de confondre le peuple avec l'image que s'en font ou prétendent imposer certains groupes sociaux. Car il est un populaire qui joue un róle d'alibi, qui représente ou qui distrait le peuple et concourt ainsi a son aliénation.
Le genre hagiographique, je l'ai dit, se prête particulièrement bien a des recherches de cet ordre car "en lui s'harmonisent l'élaboration cléricale et l'imaginaire des masses, avide autant de cohérences que d'événements miraculeux" (51). C'est la une de ses constantes a travers les siecles. Au XVllIº siecle, les Vies de saints contenues dans la "littérature bleue" assurent la relance du "légendaire sacré" au moment même où "l'érudition monastique commence le grand travail d'épuration critique de l'hagiographie médiévale" (52). Au Moyen âge, comme le remarque G. Duby, la vulgarisation des modeles aristocratiqués "établit en fait une communication a double sens entre les fonds culturels des différents niveaux sociaux" (53). La littérature hagiographique est alors le clair miroir ou se lisent ces échanges réciproques, ce jeu subtil d'acculturations internes, ce dialogue entre culture cléricale et culture folklorique (54).
L'époque de Berceo est, de ce point de vue, particulierement intéressante. On assiste, en effet, en Europe, aux XIº et XIIº siecles, a une véritable renaissance de la littérature profane, a l'élaboration d'une culture láique qui, pour se constituer, emprunte a la culture folklorique sous-jacente. Cette "culture seigneuriale laïque à fond folklorique", comme l' appelle J. Le Goff, c'est celle qui s'étale dansle Poema de Mio Cid et dans la Chanson de Roland (55). Est-elle déja, chez Berceo, récupérée par l'Eglise et christianisée? Question majeure a laquelle les étude de vocabulaire devraient permettre d' apporter un début de réponse.
On me reprochera peut-être de m'être contenté ici de poser des questions, de formuler des hypotheses, d'indiquer des directions de recherches. Mais une communication ne saurait être une somme et un bon colloque est sans doute celui qui se termine par une liste de travaux à effectuer. "Les échanges corporatifs, écrit le P. Bonnet, existent pour, a la fois, produire des exagérations et les pondérer. S'il faut parler dans les colloques comme dans les revues, on perd un des bénéfices du colloque" (56).
NOTAS
(1) Raoul MANSELLI: La religion populaire au Moyen âge, problemes de méthode et d'histoire, Montréal-Paris, 1975, pag. 28.
(2) Voir en particulier les études pionnieres de E. Delaruelle reprises dans La piété populaire au Moyen âge, Turin, 1975.
(3) Luis MALDONADO: Religiosidad popular, nostalgia de lo mágico, Madrid, ed. Cristiandad, 1975. R. ALVAREZ GASTÓN: La religión del pueblo, Madrid, B.A.C., 1976.
(4) -Les religions populaires, Actes du colloque international de 1970, publiés par B. Lacroix et P. Boglioni, Québec, 1972.
-R. PANNET: Le catholicisme populaire. Paris, Centurion, 1974.
-S. BONNET: A hue et à dia. Les avatars du cléricalisme sous la Vo République, Paris, Le Cerf, 1974, et Prieres secretes des Franrais d'auiourd'hui, Paris, Le Cerf, 1976.
-La religion populaire, sous la direction de B. P1ongeron, Paris, Beauchesne, 1976 (Contient une importante mise à jour bibliographique).
-Le christianisme populaire, sous la direction de B. P1ongeron et R Pannet, Paris, Le Centurion, 1976.
-Religion populaire et réforme liturgique, Paris, Le Cerf, 1975.
-Foi populaire, foi savante, Actes du congres d'Ottawa, Paris, Le Cerf, 1976.
Je ne cite bien entendu que les pub1ications essentielles. Pour l'Ang1eterre, cf. G. J. CUMING et D. BAKER: Popular belief and practice, Cambridge, 1972. Je n'ai pas consulté l'ouvrage de W. H. C. FREND: Religion popular and unpopular in the early christian ¿.enturies, London, 1976.
(5) -Mikkail BAKHTINE: L'oeuvre de Franrois Rabelais et la culture po-
pulaire au Moyen âge et sous la Renaissance, Paris, Gallimard, 1970. -M. DE CERTEAU: La culture au pluriel, Paris, col. 10-18, 1974.
-M. SORIANO: Les Contes de Perrault. Culture savante et !raditions populaires, Paris, Gallimard, 1968.
Sur la littérature populaire, voir aussi les études de G. BOLLEME: La Bible bleue, anthologie d'une littérature populaire, Paris, Flammarion, 1975; Les almanachs populaires aux XVllº et XVlIIº siecles. Essai d'Histoire sociale, Paris, Mouton, 1969. On connait également le livre célebre de R. MANDROU: De la culture populaire en France aux XVIIº et XVlIlº siecles. La Bibliotheque bleue de Troves, Paris; 1964 (2.a ed. 1975). Je n'aí pas lu le livre de R. MUCHEMBLED, Culture populaire et culture des élites dans la France moderne (15.0- 18.0 siecle), Paris, Flammarion, 1977.
(6) -Y. M. BERCÉ: Féte et révolte. Des mentalités populaires du XVlO au XVlIlo siecle, Paris, Hachette, 1976, chapitre IV, La religion popu1aire persécutéc:,
-J. DELUMEAU: Le christianisme va-t-il mourir?, Paris, Hachette, 1977. (7) I. SAUGNIEUX: Literatura y espiritualidad españolas, Madrid, Prensa Española, 1974.
(8) O. LEFF: "Hérésie savante el hérésie populaire dans le bas Moyen âge", in Hérésies et sociétés dans l'Europe pré-industrielle (IIº-XVlllº siècle), París, Mouton, 1968, pág. 219-223.
(9) E. DELARUELLE: "Dévotion populaire et hérésie savante au Moyen âge", in Hérésies et sociétés, op. cit., pág. 150.
(10) Ibid., pág. 151.
(11) Sur les "problemes d'acculturation, voir A. DUPRONT: "De l'acculturation", in Comité international des sciences historiques, Horn-Víenne 1965, page 7-36. Sur les problemes d'adaptation, en particulier dans le cas de la prédication, je renvoie à mon livre sur Les jansénistes et le renouveau de la prédication dans /'Espagne de la seconde moitié du XVIIIº siecle, Presses Universitaires de Lyon, 1976. Je souligne enfin tout l'intéret qu'offre l'étude de la prédication populaire et des missions intérieures. le travaille actuellement à un livre sur le célebre Fray Diego de Cádiz et les missions des Capucins à la fin du XVIIIº siècle.
(12) Sur l'Histoire des mentalítés, voir l'étude de G. DUBY dans L'Histoire et ses méthodes, Encyclopédie de La Pléiade, Paris, 1961. Pour une approche des problemes sémantiques, voir A. J. GREIMAS: Sémantique structurale, recherche de méthode, Paris, Larousse, 1966. La bibliographie dans ces deux domaines est immense.
(13) Dominique JULIA: "Histoire religieuse", in Faire de l'Histoire. tome II, Paris, GalLimard, 1974, pág. 156.
(14) A. GODIN: Spiritualité franciscaine en Flandre au XVlº siecle, l'Homéliaire de Jean Vitrier. texte, étude thématique et sémantique, Geneve, Droz, 1971.
(15) Pour les rapports de la linguistique et de l'histoire nous ne disposons que d'études tres récentes. Voir Régine ROBIN: Histoire et linguistique, Paris. Colin, 1973 (avec une bonne bibliographie). On lira aussi les numéros spéciaux des revues Langages (septembre 1968); Langue française (février 1971) et Revue d'Histoire littéraire de la France (décembre 1970). Je signale aussi:
-F. FURET et A. FONTANA: "Histoire et linguistique", in Livre et société, tome 2, Paris, Mouton, 1970.
-A. J. GREIMAS: "Histoire et linguistique", in Annales E.S.C., 1958, page 110-114.
-A. DUPRONT: "Langage et histoire", communication au XllIº congres international des sciences historiques, Moscou, 1970.
-M. MOLHO: "Linguistique et Histoire", in Mélanges de la Casa de Ve-ázquez, tome XII, 1976, Paris, De Boccard, p. 511-530.
(16) Apologie pour l'Histoire, Paris, Colin, 1949. La société féodale, Paris, Albin Michel, 1939.
(17) Combats pour l'Histoire, Paris, Colin, 1953, p. 219. (18) Op. cit., p. 513.
(19) "Histoire et linguistique", op. cit., p. 15.
(20) MOLHO: Op. cit., p. 530.
(21) Pour la socio-Iinguistique voir notamment J. B. MARCELLESI: Le Congres de Tours, études socio-linguistiques, Paris, Le Pavillon, 1971. Pour la lexicologie, G. MATORÉ: La méthode en lexicologie. Paris, Didier, 1953; et Le vocahulaire et la société sous Louis-Philippe, Geneve, 1951.
(22) SAPIR: Linguistique, Paris, 1968, p. 87.
(23) J. B. MARCELLESI: "Linguistique et groupes sociaux", in Langue française, num. 9, p. 119.
(24) A. DUPRONT: "Sémantique historique et Histoire", in Cahiers de lexicographie, 1969, p. 15.
(25) Cf. GUIRAUD: Les caracteres statistiques du vocabulaire, Paris, 1954, et Problemes et méthodes de la statistique linguistique. Paris, 1960. Voir aussi Ch. MULLER: Initiation a la statistique linguistique, Paris, 1968.
(26) Voir aussi A. SOMMERFELT: "Structures linguistiques et structures des groupes sociaux, in Diogene, 1965, et MALDIDIER. NORMAND, ROBINS "Discours et idéologie', in Langue française, num. 15, 1972, p. 116-142.
(27) Ces expressions sont de A. Dupont.Cf."Anthropologie religiese", en Faire de l´Histoire, tome II, Paris,1974, p.105-136, et "problèmes et mèthodes d´une histoire de la psychologie collective", in Annales E.S.C., 1961, p. 3-11.
(28) Voir notamment le dêbut de L´art religieux de XIIIº siècle en France, édition moderne, Paris, Le Livre de poche, 1968, 2 vol.
(29) MANSELLI: Op. cit., p. 31.
(30) Literatura y espiritualidad españolas, op. cit.
(31) "La réforme grégorienne, donc, comme expression de religion savante, a conflué avec l ´exigence d'une vie chrétienne plus profonde et vraie dont les masses ressentaient authentiquement la nécessité" (op. cit., p. 130..131). "Le triomphe ultérieur et irrésistible de la prédication de François, la croissance impétueuse de son Ordre ...nous montrent un cas limite, mais non unique, de la correspondance exacte entre une exigence religieuse et sa traduction au sein du monde ecclésial" (ibid., p. 155).
(32) Sur le miracle au Moyen age voir, en dehors des ouvrages sur l'hagiographie cités plus bas, celui de J. FONTAINE: Sulpice Sévere, Vie de saint Martin, Paris, III vol., 1967-1969. Je n'ai pas lu les deux études de P. BOGLIONI: "Pour l'étude du miracle au Moyen age: Grégoire le Grand et son milieu' in Cahiers d'études des religions populaires, Montréa1, 1972, et "Miracle et nature chez Grégoire le Grand'., in Cahiers d'études médiévales, Montréal,--1974, p. 11-102.
(33) MANSELLI: Op. cit., p. 72.
(34) Voir P. SAINTYVES: Essais de mythologie chrétienne. Les saints sucesseurs des dieux, Paris, 1907, et En marge de la Légende Dorée. Essai sur la formation de quelques themes hagiographiques, Paris, 1930. On lira aussi VACANDARD: Origines du culte des saints. Les saints sont-ils les successeurs des dieux?, in Etudes de critique et d'histoire religieuses, 3.0 série, Paris, 1912, p. 59-212.
(35) LOOMIS: White magic. An introductioñ to the folklore of Christian Legend. Cambridge. 1948.
(36) "El antisemitismo de Berceo", in Literatura y espiritualidad españolas, op. cit.
(37) "La religion populaire au Moyen-age", in Foi populaire, foi savante. op. cit., p. 121.
(38) Voir par exemple l'étude de D. GONTHIER et C. LE BAS: "Analyse socio-économique de quelques recueils de miracles dans la Normandie du Xlº et Xllº sicles", in Annales de Normandie, 1974, p. 3-36.
(39) De nombreuses études ont été consacrées a l'hagiographie. Je cite les plus utiles
-H. DELEHAYE: Les légendes hagiographiques, 4.0 éd., Bruxenes, 1955, et Cinq leçons sur la méthode hagiographique, Bruxelles, 1934.
-R. AIGRIN: L'Hagiographie, ses sources, ses méthodes, son histoire, Poitiers, 1953
-J. Cl. POULIN: "L 'idéal de sainteté dans l' Aquitaine carolingienne d'apres les sources hagiographiques (750-950)", in Travaux du Laboratoire d'histoire religieuse de l'Université de Laval, 1975.
-PATLAGEAN: A Byzance, ancienne hagiographie et histoire sociale, in Annales E.,S.,C., 1968, p. 106-126.
-P. DELOOZ: Sociologie et canonisations, La Haye, 1969.
-P. PEETERS: Orient et Byzance. Le tréfonds oriental de l'hagiographic byzantine, Bruxenes, 1950.
-H. GUNTHER: Psychologie de la légende. lntroduction a une hagiographie scientifique, Paris, 1954.
-DE GAIFFIER: "Mentalité de l'hagiographe médiéval", in Analecta Bollandiana, 1968, p. 391-395.
-FESTUGIERE: "Lieux communs littéraires et themes de folklore dans l'hagiographie primitive", in Etudes de religion grecque et hellénistique, Paris, 1972, p. 27l-301.
(40) "La noción de 'popular' en literatura", in Cervantes, raíces folklóricas, Madrid, Gredos, 1976, p. 11-33. Les theses de Gramsci ont été défendues aussi par C. Ginzburg lors du Colloque de Paris sur la religion populaire.
(41) Sur les pliegos de cordel les deux ouvrages de base sont ceux de María Cruz GARCÍA DE ENTERRÍA: Sociedad y poesía de cordel en el Barroco, Madrid, Taurus, 1913, et Julio CARO BAROJA: Ensavo sobre la literatura de cordel; Madrid, Revista de Occidente, 1969. Voit aussi le récent ouvrage publié
par l'Université de Paris VIII, L'infralittérature en Espagne aux XIXº et XXº siecles; Presses Universitaires de Grenoble, 1977.
(42) J. FONTAINE: lntroduction a la Vie de Saint Martin de Sulpice Sévère, op.,cit.
(43) "L'édification hagiographique", in L'écriture de I'Histoire, Paris, Gallimard, 1975, p. 279.
(44) En dehors des ouvrages de Bakhtine et Bercé, déja cités, voir l'importánt essai de Harvey Cox: La fête des fous. Essai théologique sur les notions de fête et de fantaisie, Paris, Le Seuil, 1971. Un commentaire intéressant de B. MONDIN:. "El juego como categoría teológica". in Los movimientos teológicos secularizantes, Madrid, BAC, 1973. Sur la notion de jeu, comparer les réflexions d'un historien comme HUIZINGA (Homo ludens, Paris, Galtimard, 1951) avec celles d'un théologien moderne comme MOLTMANN (Le Seigneur de la Danse. Paris, Cerf, 1972). Selon Cox, l'élimination de tout ce qui peut revetir un caractere imaginaire, imaginatif ou festif constitue l'une des causes de la "mort de Dieu", car l'homo ludens est plus proche du surnaturel que l'homo faber ou l'homo cogitans. La création du monde, par exemple, n'a-t-elle pas été un jeu, une fête?
(45) J'ai montré dans mon étude sur l'économie du salut dans les Milagros que la piété mariale possède un caractere éminemment festif. Il en va de même, on vient de le voir , pour le culte des saints et la littérature a laquelle il a pu donner lieu.
(46) Voir en particulier les notes et les introductions a I'édition des Obras completas de Berceo: Tome I, Vida de San Millán (London, Tamesis Books, 1967); Tome II, Los Milagros de Nuestra Señora (id., 1971); Tome III, El Duelo, Los himnos, ;Los Loores, Los signos (id.. 1975).
(47) .De CERTEAU: Op. cit., p. 70.
48) II n'existe malheureusement pas d'étude d'ensemble sur les Sociedades económicas de Amigos del País. Voir cependant les travaux de Georges DEMERSON, notamment Las Sociedades económicas de Amigos del País en el siglo XVIII, guía del investigador, San Sebastián, 1974 (en collaboration avec P. de Demerson et F. Aguilar Piñal), et La Real Sociedad económica de Valladolid (1784-1808), Valladolid. 1969. Voir aussi l'ouvrage collectif publié a San Sebastián en 1972, Las Reales Sociedades económicas de Amigos del País y su obra.
(49) Cf. ROCHE: "Encyclopédistes et académiciens. Essai sur la diffusion sociale des Lumieres", in Livre et Société dans la France du XVIIlº siecle, op. cit., p. 73-92, et "Milieux académiques provinciaux et Société des Lumieres", ibid. p. 93-184. Voir aussi les remarques de D. Mornet dan Les origines intellectuelles de la Révolution Française, 6.º édition, Paris, Colin, 1967. Sur les rapports entre Encyclopédie, Presse périodique, salons et académies, voir mon article sur "Les structures socio-temporelles des Lumieres et le développement de la presse périodique en Espagne", in Cahiers d'Histoire, 1978. La these de D. ROCHE, Le siecle Lumieres en province. Académies et académisiens provinciaux, 1680-1798 (Paris, Monton, 2 vol., 1977), m'est parvenue trop tard pour être utilisée ici.
(50) R. ROBIN: Op. cit.. p. 112. Ailleurs elle dénonce "les idéologies pseudo-égalitaires des académies, loges et salons" (ibid., p. 116).
(51) DUPRONT: "Formes de la culture des masses: de la doléance politique au pelerinage panique", in Niveaux de culture ef groupes sociaux, Paris, Mouton, 1967, p. 151.
(52) R. MANDROU: De la culture populaire aux XVllº et XVlllº siecles, la Bibliotheque bleue de Troyes, Paris, Stock, 2.º ed., 1975, p. 109.
(53) G. DUBY: "La vulgarisation des modes culturels dans la société féodale", in Niveaux de culture..., op. cit., p. 35.
(54) Je reprends ici la terminologie de J. LE GOFF dans "Culture cléricale et traditions folkloriques dans la civilisation mérovingienne", in Niveaux de culture, op. cif., p. 21-30. Voir du même, "Culture ecclésiastique et culture floklorique au Moyen âge: Saint Marcel et le dragon", in Ricerche storiche e economiche in memoria di C. Barbagallo, Napoles, 1970, p. 53-90.
(55) Sur la mentalité laïque et féodale de la Chanson de Roland. cf. D. D. R. OWER: "The secular inspiration of the Chanson de Roland", in Speculum, 1962, cité par LE GOFF: Op. cit., p. 30. Pour ce qui est du Poema de Mio Cid, cf. SAUGNIEUX: "Mesianismo político y mesianismo religioso en el Poema de Mio Cid", in Literatura y espiritualidad españolas, op. cit.
(56) Communication sauvage au colloque CNRS "La religion populaire" : "De l'extinction de la religion populaire".
CULTURE POPULAIRE ET
CULTURE
SAVANTE DANS L'OEUVRE DE BERCEO
(PROBLEMES DE METHODE)
Joel Saugnieux
Université Lyon II (France)
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