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Introduction
L'Hispania occupe une place fondamentale dans l'historiographie péninsulaire1. Dans une grande partie des sources narratives relatant les règnes des souverains qui se succédèrent dans la péninsule ibérique, de la chronique dite mozarabe de 754 jusqu'aux grandes chroniques du début du XIIIe siècle, on observe une idéalisation de ce territoire. Dans la lignée des louanges qu'en faisait Isidore de Séville, pour qui la terre hispanique participait pleinement de la définition de la nation hispano-gothique2, l'Hispania représente au sein de ces œuvres tout à la fois le symbole de l'unité politique et chrétienne perdue en 711 et l'objectif de la mission que tout souverain se doit d'accomplir. La Chronica naiarensis est étroitement liée à ces textes. D'abord elle est l'héritière de celles de ces chroniques qui la précèdent puisqu'elle les compile3. Par ailleurs on s'accorde à lui reconnaître aussi une forte influence sur la composition des chroniques du XIIIe siècle4. Mais l'intérêt de la Naiarensis est loin de se limiter à cette suite d'héritages. Le travail de compilation auquel se prête son auteur ne consiste pas en une simple copie de ces textes antérieurs. Les sources sont méticuleusement invoquées et imbriquées, à la poursuite d'un objectif précis : retracer la succession des dynasties qui ont gouverné cette terre, des origines bibliques jusqu'à l'époque presque contemporaine de l'auteur, et glorifier finalement les princes castillans qui ont su s'imposer au sein de la péninsule5. Qu'advient-il de l'Hispania dans cette recomposition? Retrouve-t-on cette exaltation de la terre hispanique qui aboutissait dans toute une partie de l'historiographie antérieure à l'énonciation d'un lien privilégié entre les rois de la péninsule et le territoire qu'ils gouvernent ou aspirent à gouverner? Dans la mesure où le chroniqueur copie souvent mot pour mot ses sources, souvent en des passages assez longs, il est tentant de lui attribuer a priori les intentions idéologiques qui étaient celles de ses prédécesseurs6. Il y a toutefois dans le maniement des sources quelques indices qui invitent à penser que l'auteur de la Chronica naiarensis a souhaité minorer cet attachement au sol hispanique qu'il lisait dans les chroniques anciennes7.
Quelques chiffres
Commençons par quelques chiffres et une réflexion statistique, quelque peu fastidieuse mais qui se révèle importante pour la suite de la démonstration8.
Occurrences des termes dans la Naiarensis
Toutes variantes orthographiques confondues9, on dénombre 87 occurrences du terme Hispania et de mots appartenant au même champ lexical dans la Chronica naiarensis. Ils se répartissent de la manière suivante :
On remarquera que d'autres termes désignant l'Espagne - comme Iberia et Hesperia - sont absents de la chronique. Quant à la distribution de ces occurrences dans les trois livres de la chronique, on observe une répartition comme suit :
Cette répartition n'a a priori rien d'étonnant et s'explique aisément par la structure propre à l'œuvre qui suppose une restriction progressive du cadre géographique envisagé, de la péninsule ibérique dans sa totalité dans le livre I au León dans le deuxième, et au royaume de Castille-León dans le dernier. Voyons ensuite à quelles sources ces occurrences ont été empruntées.
Sources de ces occurrences La Chronica naiarensis est essentiellement composée de textes de l'historiographie péninsulaire rédigés depuis l'époque wisigothique. L'examen de ces sources révèle que la très grande majorité des 87 occurrences du mot Hispania et des termes assimilés provient directement de ces œuvres.
Sens du terme Hispania
Nous terminerons cette première réflexion statistique en nous penchant quelques instants sur le sens à donner au terme Hispania. Dans les chroniques et diplômes, du VIIIe au XIIe siècle, Hispania ne fait pas toujours référence à la même réalité territoriale. Le terme désigne tantôt : la totalité du territoire péninsulaire, ce qui correspond à l'ancienne province romaine ; les terres dominées par les Musulmans, c'est à dire al-Andalus, évolution sémantique qui s'explique peut-être par le fait qu'à l'issue de l'invasion musulmane presque toute la péninsule est occupée par l'Islam ; les royaumes chrétiens du Nord dans leur ensemble ou plus spécifiquement le royaume castillano-léonais, en vertu d'une évolution d'usages10. Qu'en est-il dans la Naiarensis? On observe que sur les 78 occurrences du terme Hispania, au singulier comme au pluriel, 67 font référence à la péninsule ibérique dans son intégralité11. En réalité, seules 11 occurrences, empruntées à la Chronique d'Alphonse III et intégrées au livre II, désignent al-Andalus. Pour récapituler, les analyses menées à partir des occurrences du terme Hispania dans la Chronica naiarensis permettent de faire apparaître deux particularités. D'abord, ces nombreuses occurrences proviennent pour l'essentiel des chroniques antérieurement composées dans la péninsule, que l'auteur compile pour constituer sa propre chronique historique. Ensuite le sens de l'essentiel de nos occurrences fait une grande place à l' Hispania comme totalité péninsulaire. On est donc en droit de se poser deux questions. La compilation qu'offre l'auteur transmet-elle en même temps que ces occurrences les idées propres aux textes auxquels celles-ci ont été puisées? La prédilection pour une signification péninsulaire du terme suppose-t-elle l'exaltation de l'ancienne unité hispanique?
Que devient l'Hispania d'Isidore de Séville?
Le livre I est essentiellement fondé sur les œuvres d'Isidore de Séville (d'abord sa Chronique et ensuite ses Histoires). Qu'en est-il donc de la définition isidorienne de la nation hispano-gothique et du lien privilégié qui unit les Goths à l'Hispania? On observe qu'il a tendance à disparaître.
Mise en valeur du peuple goth et du royaume wisigothique
Il est certain que l'auteur de la Chronica naiarensis a souhaité glorifier le peuple des Goths. Cette mise en valeur a induit d'abord quelques ajouts à la Chronique d'Isidore. C'est en effet ainsi qu'on interprète une des répétitions qui ponctuent la chronique12. Au § 110 du livre I, les Goths sont mentionnés pour la première fois. Le passage est tiré de la Chronique d'Isidore, et il y est question des incursions et dévastations « de la Grèce, la Macédoine, l'Asie et du Pont » qu'entraîne le passage du peuple gothique13. L'auteur double cette information, en copiant à la suite les mêmes faits en provenance cette fois de l'Histoire des Goths. Pourquoi cette répétition? On remarque que cette seconde notice est plus détaillée : Isidore y précise cette fois que les Goths « habitaient les Alpes » et qu'en plus des territoires mentionnés ils dévastèrent également l'Illyrie14. On a donc l'impression que l'auteur ne voulait manquer aucun détail concernant les premiers moments de l'histoire des Goths. De la même manière que les premières mentions des Goths sont l'objet de toute l'attention de l'auteur, on observe aussi que la future capitale du royaume wisigothique, Tolède, est évoquée le plus tôt possible dans le récit. Le chroniqueur saisit l'occasion de la mention du règne du roi de Perse Darius II (423-405 av. J.-C.), appelé également Notus, pour émettre un lien immédiat avec un texte bien postérieur rédigé par l'évêque d'Oviedo Pélage (première moitié du XIIe s.), dont il semble par ailleurs bien connaître l'œuvre de compilation historiographique appelée aujourd'hui Corpus Pelagianum, puisqu'il utilise par la suite non seulement la Chronique de Pélage mais aussi les versions pélagiennes de la Chronique d'Alphonse IIIet de la Chronique de Sampiro". Parmi les nombreux écrits intégrés au Corpus Pelagianum figure ce qu'Helena de Carlos Villamarín a intitulé la Notice sur les quatre cités16. Ce texte évoque les origines de quatre villes péninsulaires - Saragosse, Tolède, León et Oviedo - à partir d'un raisonnement étymologique, et il fut réutilisé par la suite dans plusieurs productions historiographiques17. Concernant Tolède, Pélage écrit ceci : De l'origine du monde jusqu'à l'édification de la ville de Tolède 4113 années se sont écoulées. En son temps Darius, qu'on appelle également Notus, régna sur Rome pendant 29 ans. Au début de son règne il envoya en Hispania deux proconsuls, répondant aux noms de Tholémon et Bruto, afin qu'ils la parcourent en tous sens et y choisissent un endroit amène et invulnérable pour y construire une ville qui surpasserait toutes les autres villes et forteresses et serait destinée à devenir la capitale de toute l'Hispania. Ils firent donc ce qui leur avait été ordonné, ils vinrent en Hispania et la parcoururent toute entière, et trouvèrent au bord du fleuve qu'on appelle le Tage un endroit comme il n'y en avait pas d'autre dans toute l'Hispania. Un endroit tel que ce que leur roi leur avait dit. Ils commencèrent à construire la ville, et après sept années elle était achevée. Alors ils envoyèrent à leur seigneur des légats pour lui demander quel nom ils devraient lui donner. En entendant cela le roi fut rempli d'une grande joie, et il dit : "Que mes éminents consuls additionnent sept lettres de leurs noms, les cinq premières de Tholémon et les deux dernières de Bruto, et qu'ils les joignent bout à bout de sorte qu'elles ne forment plus qu'un seul mot et un seul nom, et à partir de ces lettres associées on l'appellera Tolède". C'est grâce à ces faits que Tolède reçut son nom. Et l'illustre roi l'appela en outre ville royale18. Le chroniqueur, en copiant dans son livre premier la notice d'Isidore de Séville sur Darius/ Notus saisit ainsi l'occasion de mentionner l'origine du nom de la future capitale du royaume wisigothique : Darius, qu'on appelle aussi Notus, régna dix neuf ans. Après qu'il eut dépêché ses proconsuls Ptholémon et Bruto durant la première année de son règne, Tolède fut édifiée en Hispania et achevée en sept années. Elle tira son nom des quatre premières lettres de l'un et des deux dernières de l'autre19. Son zèle est d'ailleurs tel qu'il réitère cette mention quelques paragraphes plus loin, précisément au § 79, lorsqu'il est question du roi d'Egypte Ptolémée VII Évergète (170-163 / 145-116 av. J.-C.) sous le règne duquel, selon la Chronique d'Isidore, le consul Brutus conquit l'Hispania au nom des Romains20. L'association réitérée des noms de Ptolémée et Brutus semble avoir rappelé à l'auteur le texte de Pélage d'Oviedo, aussi ajoute-t-il à la notice isidorienne : « Hoc tempore per consulem Brutum Yspania a Romanis obtempta est et Toletum edificatur ». L'auteur de la Naiarensis a-t-il eu conscience de l'incohérence de ses propos en relatant la fondation de Tolède à la fois au Ve siècle et au Ier siècle avant notre ère? Ou a-t-il eu des doutes sur les affirmations de Pélage? Il est possible qu'on n'ait d'ailleurs là qu'un brouillon que l'auteur n'aurait pas eu la possibilité de retoucher... Quoi qu'il en soit l'histoire de Tolède, future capitale des Goths, est particulièrement soignée par l'auteur. On le remarque d'ailleurs en une autre occasion, certes moins glorieuse. Au moment d'opérer une coupe dans la Chronique d'Alphonse III pour achever son livre I, l'auteur de la Naiarensis conclut le récit de la ruine du royaume wisigothique en évoquant la chute de Tolède aux mains des Musulmans : « Vrbis quoque Toletana gentium uictrix Ysmaeliticis triumphis uicta subcubuit. Explicit liber primus » (I, § 210). Mais nous reviendrons sur cette transition du livre I au livre II. La mise en valeur du peuple goth est également visible dans la manipulation des Histoires d'Isidore. Une première remarque concerne l'antéposition des histoires des Vandales et Suèves à celle des Goths. Il est certes possible que le chroniqueur ait eu connaissance de ce texte dans cet ordre21. Mais une autre interprétation est plausible. D'abord l'auteur aurait pu se passer des histoires des Vandales et Suèves, de même qu'il a coupé des passages de la Chronique d'Isidore22. Il aurait pu les considérer superflues dans la mesure où leur contenu est contemporain de celui de l'histoire des Goths, ce qui tend à dérouter le lecteur dans le récit chronologique qu'il s'applique à réaliser ailleurs. Pourtant, il semble avoir bien conscience, pour reprendre les mots de Jacques Fontaine, que ces histoires constituent un appendice à l'histoire des Goths en forme de « faire-valoir »23. Ensuite, l'ordre choisi pour copier les Histoires d'Isidore met en valeur le fait que les Goths ont fini par avoir le dessus sur les autres peuples germaniques. Quand bien même les trois histoires sont en partie contemporaines, l'auteur rétablit une succession logique en utilisant les propres mots d'Isidore. L'histoire des Suèves s'achève en effet sur la phrase suivante : « le royaume des Suèves, ruiné, est transféré aux Goths, après avoir duré 170 années »24. Vient alors, en toute logique, l'histoire des Goths. Ainsi l'histoire des Vandales et des Suèves n'est plus un appendice à celle des Goths, mais un prélude qui en rehausse la gloire. Intervient alors la seconde manipulation du texte isidorien des Histoires. A ce moment le récit événementiel qui primait jusque-là est pour un temps abandonné, et le chroniqueur prend bien soin de copier la Laus Gothorum. Ce texte, dans l'œuvre isidorienne, est une recapitulatio : il intervient comme épilogue au récit de l'histoire des Goths25 pour résumer les pérégrinations de ce peuple victorieux et en vanter les qualités, de ses origines à son installation dans l' Hispania. Dans la logique chronologique qu'il semble privilégier le chroniqueur n'avait pas intérêt à modifier cet ordre, et cela l'amène par ailleurs à répéter les mêmes informations au sujet de l'origine supposée des Goths quelques lignes plus loin. Il est possible qu'il n'ait pas trouvé d'autre endroit où l'insérer : alors qu'Isidore arrête son récit au règne de son contemporain Suintila, l'auteur de la Naiarensis a la possibilité de continuer l'histoire du peuple goth jusqu'à ses derniers moments, et il a peut-être considéré peu logique de copier cette recapitulatio glorieuse à la suite du récit de la fin tragique du royaume wisigothique... Mais dans ce cas il aurait pu tout bonnement le laisser de côté. On ne comprend pas très bien la logique de cette manipulation, sauf à considérer là encore la glorification du peuple goth.
Absence d'exaltation de l'Hispania
Vu l'attention portée au peuple wisigothique par le chroniqueur, on pourra s'étonner de l'absence d'exaltation de cette Hispania si chère à Isidore de Séville. Un premier élément en ce sens est l'absence de la Laus Spanie dans la compilation naiarensis. Ce texte si important pour la définition de la nation wisigothique dans l'idéologie isidorienne, qui met en valeur le lien providentiel et mythique qui unit les Goths à l' Hispania, est ignoré par le chroniqueur. Il n'en disposait peut-être pas 26? Mais il y a également un autre indice qui invite plutôt à supposer qu'il l'a rejeté. En effet, d'autres descriptions de l'Espagne ne sont pas insérées non plus, alors que le chroniqueur en disposait, notamment grâce à la Chronique d'Albelda qui intègre une Exquisitio Spania reprise des Etymologies d'Isidore27 et quelques lignes sur les « choses célèbres de l'Espagne »28. Certes l'auteur tend à ne pas prendre pour source des textes trop éloignés chronologiquement des événements. Mais dans le cas de la fondation de la ville de Tolède il a pourtant eu recours à un texte bien postérieur en se servant de la Notice sur les quatre cités de Pélage d'Oviedo. Il semble donc ne pas être intéressé par ces discours vantant les mérites de la terre hispanique. Cela le distingue tout particulièrement des chroniques postérieures qu'il a pourtant influencées, comme le Chronicon Mundi de Lucas de Tuy, dans lequel on retrouve certes la structure d'une histoire d'abord universelle puis hispanique et enfin "nationale", mais qui débute justement par le rappel des écrits d'Isidore et de l'« excellence de l'Hispania »29. Cela ne signifie pourtant pas que l' Hispania comme territoire sur lequel s'installent les Wisigoths n'intéresse pas du tout le chroniqueur. Au contraire il lui consacre une longue digression dans l'interpolation qu'il réalise au sein de la Chronique d'Alphonse III, en y insérant le texte de la problématique Divisio Wambae qui décrit la répartition des provinces ecclésiastiques et des diocèses sur le territoire péninsulaire qu'on attribue au roi wisigoth Wamba30. Cela montre que ce n'est qu'en tant que cadre que l'Hispania intervient dans le récit. Cadre administrativement et religieusement organisé par le peuple qui y a pris le pouvoir et surtout par son roi, et non pas cadre personnifié ou empreint d'une quelconque dimension mythique. Pour comprendre les raisons de ce choix il convient de s'arrêter un instant sur la conception de l'Histoire qu'a l'auteur de la Chronica naiarensis.
Geste des rois et transmission du pouvoir : le sens de l'Histoire
« Regum gesta tantummodo scribere »
Dans le livre III (§10) se trouve le récit de la translation des reliques d'Isidore de Séville à León ordonnée par Ferdinand Ier. Reprenant pour l'occasion le récit qu'en fait l'Historia silense, l'auteur évoque finalement la multitude de miracles que la présence du saint à León suscita par la suite, mais sans en donner d'exemples. Il reprend alors une phrase que l'auteur de la Silense avait composée pour se justifier de ce silence : Mais il n'est pas dans mon intention, moi qui me suis seulement proposé d'écrire la geste des rois, de raconter pour le moment combien et quels miracles furent divinement réalisés par l'intermédiaire du confesseur dans les corps de nombreux malades venus implorer son intercession 31. Cette phrase prend tout son sens dans la Chronica naiarensis. En effet, on a bien affaire à un historien dont le propos est d' « écrire uniquement la geste des rois ». L'auteur s'en tient à une définition la plus sobre qui soit de cette science. « Historia est narratio rei gestae »32, expliquait Isidore de Séville dans ses Etymologies, faisant écho à la définition antique de l'Histoire. En conséquence ce qui ne permet pas d'illustrer un événement ou une action accomplie est écarté. Prenons un exemple particulièrement frappant. L'auteur de l'Historia silense, qui se complaît à louer la bonté et l'humilité de Ferdinand Ier, a bien du mal à justifier la guerre qu'il mène à son beau-frère Bermude III, d'autant que c'est parce qu'il est l'époux de sa sœur Sancha qu'il a obtenu le pouvoir. Aussi hésite-t-il longuement, et après un développement dans lequel intervient « la part de l'ange qui se détache du nourisson » il finit par conclure... qu'ils avaient tous les deux leurs raisons! « Verum in hoc certamine, secundum humanam rationem, vterque suam videtur habere causam »33. L'auteur de la Naiarensis ne s'embarrasse pas de tant de détails et passe directement de la mort de Sanche III à l'affrontement qui oppose Ferdinand Ier à Bermude III34. Par ailleurs, il applique dans la mesure du possible la recommandation de Cicéron selon laquelle « les faits exigent qu'on suivre l'ordre exact des temps »35, par exemple en plaçant l'histoire des Goths après celle des Vandales et Suèves. Enfin, l'histoire qu'écrit l'auteur de la Naiarensis est bien celle des « rois », objet par excellence du récit des historiens médiévaux. Cela ne signifie pourtant pas que les rois soient les seuls protagonistes de leur geste. On a assez souvent relevé l'intérêt de l'auteur de la Chronica naiarensis pour les récits épiques et pour les personnages secondaires36 qui l'amène à intégrer des épisodes anecdotiques voire folkloriques37. Toutefois, ces ajouts à la trame première du récit - hormis il est vrai les digressions relatives aux événements et personnages importants de l'histoire religieuse - ont tous à voir avec les tribulations par lesquelles passe le pouvoir. En effet, ils concernent le plus souvent des précisions sur la transmission du pouvoir38 ou les généalogies des dynasties39, afin semble-t-il que le lecteur dispose de toutes les clés nécessaires pour comprendre comment se sont succédés les puissants, d'Adam à Alphonse VI. Après ces précisions sur la conception historiographique de l'auteur, on comprend mieux le choix d'ignorer la Laus Spanie. Dans ce texte, Isidore fait l'éloge de la terre hispanique, mais développe aussi l'idée que c'est l'installation en péninsule qui a fourni la possibilité d'un regnum wisigothique40. Le thème principal en est la rencontre entre le peuple goth et le sol hispanique, ou pour le dire autrement, la prédestination des Goths à l'Hispania. Dans la mesure où l'auteur de la Chronica naiarensis exalte le peuple goth, on pourrait penser qu'un tel texte lui aurait été utile, tout comme la Laus Gothorum en fin de compte. Mais voilà le problème : dans ce texte la louange des Goths passe par une personnification de l' Hispania qui devient l'actrice essentielle, et cela aux dépens des Goths qui perdent une partie de leur rôle. Espagne [...] mère sacrée et sans cesse féconde en princes et en peuples [...]. C'est toi l'honneur et l'ornement de l'univers, la partie du monde la plus brillante, où la glorieuse fécondité du peuple gétique déborde de joie et prospère abondamment41. Dans ce passage, Helena de Carlos Villamarín note que « le peuple goth [ici identifié aux Gètes] apparaît intimement lié à la terre encensée, comme s'il s'en détachait organiquement ; sa présence ne présente pas de délimitations temporelles ou historiques, à tel point qu'on en a une image végétale. Le peuple goth fleurit en Hispania comme un produit de la terre»42. Un propos si a-historique ne pouvait satisfaire un auteur attaché tout particulièrement à la chronologie et à la conquête du pouvoir.
Une histoire cyclique : les Livres de la Chronica naiarensis
La conception que se fait l'auteur de l'Histoire a encore une autre conséquence sur le sort réservé à l' Hispania dans la chronique. On se penchera quelques instants sur la structure de la chronique et son découpage en livres. On a souvent souligné l'importance de cette structure qu'on retrouve par la suite dans les textes historiographiques, notamment dans le Chronicon Mundi et le De Rebus Hispaniae. L'histoire hispanique y est divisée en trois grands moments43 : le premier court des origines jusqu'à la fin de l'époque wisigothique ; le deuxième concerne « la restauration néogothique» mise en œuvre par la monarchie léonaise ; le troisième confirme l'ascension de la Castille en traitant des premiers règnes de la dynastie castellano-léonaise. Pourtant l'analyse de l'ensemble montre qu'un découpage en cycles historiques se surajoute à ce centrage géographique progressif. Le Livre I traite en grande partie de la montée en puissance des Goths puis de leur déclin. Aussi pour effectuer sa transition du premier au deuxième livre le chroniqueur a-t-il dû opérer une coupe au sein de la Chronique d'Alphonse III, source principale pour cette partie du récit relatant la chute des derniers rois wisigoths. Le texte original, qui se partage dans la Naiarensis entre les deux premiers livres, est le suivant : Mais revenons à ce temps où les Sarrasins arrivèrent en Espagne. Le 11 novembre de l'ère 752 les Arabes, alors que le pays et la royauté étaient soumis à l'oppression, passèrent au fil de l'épée un grand nombre de gens, tandis qu'ils obtinrent la soumission de ceux qui restaient en leur offrant un séduisant traité de paix. La ville de Tolède elle-même, victorieuse de toutes les nations, succomba vaincue par le triomphe des fils d'Ismaël, et tenue sous le joug, elle les sert avec soumission. Par toutes les provinces d'Espagne ils installèrent des gouverneurs et pendant des années ils payèrent des impôts au souverain babylonien, jusqu'à ce qu'ils s'en choisissent un pour eux-mêmes, puis ils établirent leur propre royauté dans la ville de Cordoue la patricienne44. Il était donc possible de couper le texte en plusieurs endroits : à la date de l'entrée des Sarrasins dans la péninsule ; à l'évocation de la destruction du royaume wisigothique ; à celle de la chute de Tolède ; ou encore à l'installation d'un émirat cordouan indépendant. Or le choix du chroniqueur s'est porté sur la perte de Tolède, qui constitue pour lui un événement charnière : « Vrbis quoque Toletana gentium uictrix Ysmaeliticis triumphis uicta subcubuit. Explicit liber primus »45. Avec ce choix l'auteur met en valeur non pas tant la perte de l'Hispania que la ruine de la capitale tolèdane, symbole de l'installation des Goths en Espagne, dont on se rappelle qu'elle occupait une place importante dans le Livre I. C'est un cycle qui s'achève, celui de la domination du peuple gothique. Dans le découpage historique c'est donc la succession des dominations qui intéresse l'auteur plus que les malheurs de l' Hispania. Observons à présent le Livre II. Il commence avec ces mots : « Une fois mort Rodrigue, roi des Goths, il n'y eut pas de rois goths sur cette terre pendant quatre ans »46. On remarquera que c'est encore l'autorité royale qui intéresse l'auteur, en l'occurrence l'absence de souverains goths, et les lignes qui suivent consistent en une liste des émirs musulmans détenant ce pouvoir que les premiers ont perdu. S'il est bien question d'une « terre » sur laquelle s'établit ce nouveau rapport de forces, il ne semble pas important de préciser qu'il s'agit de l' Hispania. Le Livre II est par ailleurs construit en parallèle au premier. On y observe la montée en puissance d'un royaume, le royaume léonais, puis sa mise en déroute par une autre puissance, en l'occurrence de nouveau une puissance musulmane, incarnée par al-Mansur dont les ravages occupent toute une série de notices à la fin du livre, ce qui entraîne des répétitions47 qui ne se justifient que parce qu'elles figurent dans des passages en provenance de diverses sources évoquant le terrible hadjib. L'issue de l'affrontement n'est certes pas la même, puisque les déprédations d'al-Mansur n'aboutissent pas à la ruine totale du royaume chrétien. Le parallèle avec le livre I va cependant plus loin, puisque les derniers paragraphes de ce second livre traitent comme dans le premier du sort de la capitale, León cette fois. Il nous semble en effet que c'est l'effet recherché dans la digression qu'offrent le § 40 du livre II et l'insertion du passage relatif à León emprunté à la Notice sur les quatre cités de Pélage48. Le sort de la capitale est là aussi bien différent de celui de Tolède, puisque la ville revit après les ravages d'al-Mansur, ce que le chroniqueur prend soin de préciser. Dans les dernières notices, qui évoquent les règnes d'Alphonse V et de Bermude III, León est encore présente, et c'est dans une capitale revigorée49 qu'ont lieu les tractations matrimoniales concernant la future reine Sancha 50.
Un lien particulier entre les rois et l'Hispania?
Vu le désintérêt du chroniqueur pour la
terre hispanique, que fait-il donc du lien particulier
unissant les rois à l'
Hispania
que les œuvres qu'il utilise mettent en
valeur? Il va de soi
qu'on le retrouve à de nombreuses reprises au gré de la copie
intégrale de paragraphes en
provenance de ces sources. On connaît le dialogue entre Pélage et
Oppa qui vient de la
Chronique d'Alphonse III
et dans lequel le premier roi asturien
annonce que son action
guerrière va apporter avec elle le « salut de l'
Hispania
et le rétablissement de l'armée du
peuple gothique »51. On retrouve l'idée également en relation avec
les comtes de Castille :
Un néo-gothisme modéré
Dans le livre I les Goths sont particulièrement mis en valeur. Les premiers paragraphes du livre II émettent l'idée qu'après les quatre années de vacance du trône wisigothique, la rébellion de Pélage aboutit à une continuation du royaume qui existait avant l'invasion de 711. L'auteur de la Chronica naiarensis semble donc partager les fondements de l'idéologie néogothique, cette « politique surgie dans le milieu aulique asturien destinée à établir des filiations institutionnelles directes entre le balbutiant « royaume astur » et le royaume wisigothique de Tolède »53. Et pourtant, ce néo-gothisme est bien limité. Après que les Chroniques asturiennes cessent d'être la source principale d'informations, le thème de la restauration du royaume sur le modèle wisigothique - et avec lui la désignation de l' Hispania comme territoire de référence -tend à disparaître. Cela est peut-être dû aux sources qu'utilise alors l'auteur. Effectivement la Chronique de Sampiro est une des rares chroniques hispaniques dans lesquelles on ne lit pas d'idéologie néogothique54. De la même façon dans la Chronique de Pélage l'action des rois ne semble pas destinée à faire coïncider à terme le royaume castillano-léonais avec l'ancienne Hispania55. Par contre, l' Historia silense est toute entière consacrée à la mise en valeur néo-gothique de l'action des rois asturiens puis léonais56. Et pourtant, l'auteur de la Naiarensis n'a pas utilisé ce texte, alors même qu'il s'était plu dans le livre I à exalter les Goths et leur domination. Ainsi la prise de Tolède par Alphonse VI est à peine soulignée. L'auteur reprend pour l'occasion les mots quelque peu arides de Pélage : « Et comme le roi disposait de nombreuses troupes de chevaliers, en l'ère 1117 il marcha sur le territoire de Tolède, et pendant 6 ans à la suite et encore une année il affama les Sarrasins, et sans relâcher son siège il prit Tolède en l'ère 1123 »57. On aurait pu s'attendre à autre chose en raison de l'importance que prenait Tolède dans le livre I. Par ailleurs l' Historia silense, si elle ne relate pas à proprement parler l'événement, offre quelques passages qui en annoncent la portée. Ainsi son auteur explique-t-il que lorsqu'Alphonse VI fut exilé à Tolède par son frère Sanche II cette disgrâce fut en réalité bénéfique et même providentielle, car le roi, chaleureusement accueilli par les Musulmans de Tolède, « put concevoir en lui-même par quels lieux et quels moyens il allait arracher cette cité, autrefois miroir des Chrétiens de toute l' Hispania, des mains des païens »58.
Une idéologie de reconquête effacée
La libération des Chrétiens est dans la Chronica naiarensis, comme ailleurs dans l'historiographie médiévale péninsulaire, une mission sacrée des souverains. Aussi les conquêtes réalisées sur les Musulmans sont-elles un motif de glorification des souverains59. Mais cela ne suppose pas toujours la présence d'une idéologie de Reconquête dans le texte, ce qui se marque encore une fois par de nombreuses manipulations opérées sur l' Historia silense. Un point révélateur est le soin que prend le chroniqueur à ne pas intégrer dans son récit les passages de l'Historia silense où les souverains chrétiens sont intitulés « rois hispaniques »60. Notamment cette expression est employée pour désigner Ordoño Ier dans la Silense. Or la Naiarensis reprend de nombreux passages de cette chronique pour les notices concernant ce souverain, mais pas cette titulature. Il est va de même pour Alphonse VI. Il est vrai cependant que pour Ferdinand Ier l'expression apparaît : « tel un lion famélique qui voit s'offrir à lui la multitude des troupeaux sur la plaine, le roi hispanique assoiffé se jeta sur la proie maure »61. Est-ce la métaphore saisissante qui a ici séduit l'auteur? Une seconde démonstration sera plus explicite. Concernant le règne de Ferdinand Ier le texte fourni par l' Historia silense est manipulé de manière significative. Dans le texte original ce règne est introduit avec ces mots : En l'ère 1076, Ferdinand fut couronné dans l'église de Santa Ma de León, oint roi par l'évêque Servando, de vénérable mémoire, évêque catholique de l'église léonaise. Et après qu'il eut prit en main avec son épouse Sancha le sceptre du royaume, il est à noter qu'incroyablement il provoqua une grande panique parmi les provinces des barbares de toute l'Hispania. Il les aurait bien envahies dès le commencement de son règne, mais d'abord il eut à s'occuper d'étouffer méticuleusement les révoltes de plusieurs des grands de son royaume enclins à la rébellion62 . Dans la Chronica naiarensis, voici ce que devient ce passage : Après lui [i.e. Bermude III], durant la même ère, son beau-frère Ferdinand, consacré en l'église Santa Ma de León par l'évêque catholique Servando, monta sur le trône. Il s'appliqua pendant 17 années à calmer les révoltes de son royaume et à dompter les appétits féroces de certains de ses magnats et il ne fit pas la guerre au-delà de ses frontières aux peuples étrangers63. 3 Les développements concernant la lutte de Ferdinand Ier contre les Musulmans, qui sont l'action la plus valorisée par le chroniqueur originel, sont relégués au second plan ici en raison de l'intérêt supérieur que porte l'auteur de la Naiarensis au respect de l'ordre chronologique.
L'expérience impériale d'Alphonse VI ignorée
Un dernier indice tendant à montrer le désintérêt de l'auteur pour une idéologie pan-hispanique contenue dans les actions des rois dont il fait la geste est l'ignorance dans laquelle il laisse le lecteur de l'expérience impériale d'Alphonse VI. On le sait, Alphonse VI adopta dans les actes émis par sa chancellerie le titre d' imperator totius Hispaniae. Cette valorisation impériale entre dans le projet global qu'eut le souverain de reconquérir et d'unifier la péninsule ibérique sous l'égide castellano-léonaise. Toutefois, et alors que les actes mentionnant ce titre sont nombreux, cette particularité du conquérant de Tolède n'a pas donné lieu à un souvenir impérial très développé, ni même très durable64. De fait il n'est pas mentionné dans la Naiarensis. Il est vrai que l'auteur suit d'abord pour le règne d'Alphonse VI la Chronique de Pélage, qui ne signale pas non plus cette dignité impériale. Mais là encore l' Historia silense relevait ce titre65. On a donc un choix délibéré de l'auteur de la Naiarensis de l'ignorer. Cela est d'autant plus intrigant que le même titre impérial que porta également Alphonse VII est par contre souligné. Au sein d'un passage précisant la descendance d'Alphonse VI est mentionné « Alphonse, qui par la suite s'éleva au rang d'empereur des Hispaniae »66. Pourquoi cette référence au titre d' imperator porté par un souverain dont l'auteur ne relate même pas le règne, alors que la dignité impériale d'Alphonse VI est ignorée? Peut-être le chroniqueur fait-il une différence entre les deux expériences, comme si pour lui celle d'Alphonse VI était vide de réalité, et donc inutile à mentionner, alors que peut-être celle d'Alphonse VII avait un sens du point de vue de la « geste des rois »? Dans tous les cas l'objectif hispanique des actions d'Alphonse VI s'en trouve amoindri.
Conclusions
Mythifiée dans l'œuvre d'Isidore de Séville, idéalisée dans une partie des œuvres historiographiques chrétiennes de l'après 711, l' Hispania est devenue dans la Chronica naiarensis une notion purement géographique. Elle n'est plus que la terre où s'installèrent les Goths, et où les générations successives des souverains léonais et castillans ont combattu pour le pouvoir. La « mater Spanie » est dès le premier livre gommée, comme si le chroniqueur avait souhaité effacer du même coup l'idée isidorienne que les Goths étaient destinés à l' Hispania, pour n'en faire que le cadre hasardeux de leur réussite. En conséquence, dans le reste de la chronique le lien étroit qui unissait les rois à l' Hispania est également effacé. Par touches subtiles, par une manipulation minutieuse des textes, l'auteur de la Naiarensis aboutit à une sorte de neutralisation d'une partie du discours tenu par ceux des textes originaux qui mettaient en valeur ce lien. Cette réflexion, qui pourra paraître par certains aspects secondaire dans la mesure où elle est fondée sur quelques détails du texte, apportera nous l'espérons quelques éléments pour une meilleure compréhension de la Chronica naiarensis. Elle permet peut-être d'approfondir les rares indications dont on dispose sur l'éventuelle origine étrangère de son auteur. En utilisant les textes de l'historiographie péninsulaire comme des sources historiques, et non pas comme les dépositaires d'une culture commune et ancestrale à transmettre, l'auteur de la Chronica naiarensis fait en effet preuve d'un détachement qui serait peut-être plus compréhensible s'il n'était pas originaire de la péninsule. Ensuite on remarquera que le propos de cette chronique de la fin du XIIe, de laquelle est absente toute affection envers l' Hispania et tout projet unificateur pour ses rois, est en concordance parfaite avec cette période de l'histoire péninsulaire durant laquelle la fragmentation politique est consommée. L'auteur de la Chronica naiarensis aurait donc choisi, pour mettre en valeur les rois castillans contemporains, de rompre avec le discours historiographique traditionnel et d'adapter son récit à la réalité territoriale de son époque. Enfin, cette particularité permet peut-être de comprendre aussi pourquoi la critique moderne a longtemps délaissé ce texte si peu enclin à l'exaltation du « génie espagnol », et en ce sens si isolé au sein de la production historiographique hispano-médiévale.
Notes 1 On renverra sur ce sujet à l'étude classique mais toujours riche de José Antonio MARAVALL, El concepto de España en la Edad Media, Madrid, 1954, dont l'objet dépasse toutefois largement l'analyse des seules œuvres historiographiques. 2 Au roi (rex) correspond un peuple (celui des Gothi assimilés aux Hispani) et une patrie, l'Hispania. Sur ce sujet voir not. Suzanne TEILLET, Des Goths à la nation gothique: Les origines de l'idée de nation en Occident du Ve au VIIe siècle, Paris : Les Belles Lettres, 1984, et en particulier la troisième partie consacrée au « nationalisme wisigothique au VIIe siècle ». 3 Ce qui est le propre d'une grande partie des textes de l'époque. Sur les sources et la méthode employées, voir Juan A. ESTÉVEZ SOLA (éd.), Chronica hispana saeculi XII: pars 2. Chronica naierensis, Turnhout, (coll. Corpus Christianorum Continuatio Mediaevalis, 71A), 1995 , p. LXVIII sqq. 4 Ibid., p. LXXXIII-LXXXIV. 5 La Chronica naiarensis est en ce sens la première œuvre historiographique « pro-castillane » d'ampleur. L'ascension progressive de la Castille y est un thème privilégié comme en atteste la présence dans le récit des comtes de Castille et notamment de Fernán González, du Cid, et de différentes légendes épiques et thèmes folkloriques (cf. ibid., p. LXXXIV-LXXXV). 6 Voir l'affirmation de Carlos M. REGLERO DE LA FUENTE, Cluny en España. Los prioratos de la provincia y sus redes sociales (1073-ca. 1270), León (coll. Fuentes y estudios de historia leonesa, 122), 2008, p. 141: « El autor es un gran compilador de crónicas, que completa con leyendas y noticias de diverso origen. Su visión reproduce en buena medida la de sus fuentes, sin que el conjunto del texto se haya reelaborado lo suficiente para dar una visión propia coherente, desarrollada desde el principio hasta el final de la obra (al margen de su carácter marcadamente castellano) ». 7 Toutes les citations de la Chronica naiarensis renvoient à l'édition de J. ESTÉVEZ SOLA, éd. cit. 8 On précise que ce travail a été facilité par l'existence de concordances des œuvres narratives dont il est question ici. La version électronique de la Patrologie Latine a permis de dénombrer les occurrences du terme Hispania dans les œuvres historiques d'Isidore de Séville. Le volume d'Instrumenta lexicologica latina du Corpus Christianorum correspondant au volume d'édition de la Chronica naiarensis (fascicule 87) a également été d'un grand secours. Enfin on a tiré parti de la précieuse concordance de José Eduardo LÓPEZ PEREIRA, Corpus historiographicum latinum hispanum saeculi VIII-XII: concordantiae, Hildesheim, 1993 qui comprend les principales productions historiographiques péninsulaires du VIIIe au XIIe siècle: Chronica byzantia-arabica, Chronique de 754, Chroniques asturiennes, Chronique de Sampiro, Historia silense, Chronique de Pelage, Histoire Pseudo-Isidorienne, Chronica Adefonsi Imperatoris, Historia Roderici, Poème d'Almería et Chronique de Nájera. 9 Hispania apparaît en effet dans le texte sous différentes formes: hisp-, hysp-, isp- et ysp-. 10 Sur l'évolution du sens du terme Hispania, voir notamment Amancio ISLA FREZ, Memoria, culto y monarquía hispánica entre los siglos X y XII, Jaén, 2006, p. 166-184. 11 Il est cependant possible de voir dans deux de ces occurrences une désignation des terres chrétiennes de la péninsule. Dans un premier passage (II, § 20, l. 25) qui concerne l'élection d'Ordoño II emprunté à l'Historia silense, il est précisé qu'« omnes siquidem Yspanie magnati, episcopi, abbates, comites, primores, facto sollempniter generali couentu, eum adclamendo sibi regem constituunt ». On imagine mal que cette assemblée convoquée dans le but de choisir un souverain ait réuni des personnalités extérieures au royaume, et le terme peut signifier ici la Castille-León. La seconde occurrence (II, § 37, l. 20) est insérée dans une phrase de nouveau inspirée de l'Historia silense: « Tunc rex Almazor omnem fere Christianorum terram sibi subiciens fecit tributariam. Tunc in Hyspania omnis diuinus cultus, omnis Christianorum gloria, omnes ecclesiarum thesauro funditus perierunt ». Cette fois le terme semble désigner ces « terres des Chrétiens » que le redoutable al-Mansur ravage, et donc le Nord de la péninsule ibérique. 12 J. ESTÉVEZ SOLA, éd. cit., p. LXIII-LXIV et LXVII-LXVIII. 13 « Goti quoque Greciam, Macedoniam, Asyam Pontumque depopulant », I, § 110, l. 10-12. 14 « Goti descensis Alpibus, quibus inhabitabant, Greciam, Macedoniam, Pontum, Asyam atque Illiricum deuastauerunt », I, § 110, l. 17-21. 15 Cf. J. ESTÉVEZ SOLA, éd. cit., p. LXVIII-LXIX. 16 Voir Helena de CARLOS VILLAMARÍN, Las antigüedades de Hispania, Spolète, 1996, p. 179-213 pour une présentation et édition partielle de ce texte jusqu'alors édité uniquement dans l'España Sagrada, vol. 28, p. 372-376. 17 H. de Carlos Villamarín identifie ainsi la transmission de la partie de cette notice concernant Tolède dans le Chronicon Mundi, le De Rebus Hispaniae, la Primera Crónica General ou encore le Depreconiis Hispanie de Juan Gil de Zamora (cf. ibid., p. 213 sqq.). L'auteur ne semble toutefois pas avoir eu connaissance de sa transmission dans la Chronica naiarensis. 18 « Ab exordio mundi usque ad hedificationem Tholetane urbis sunt anni IIII mil. CXIII. In his uero diebus Darius qui et Notus Rome regnauit annos XXVIIII. In primo autem regni eius misit proconsules suos quorum nomina sunt hec, Tholemon siue et Bruto in Hyspania ut omnino perambularent eam et ubi inuenirent amenum fortissimumque locum ibi hedificarent ciuitatem que preesset omnibus ciuitatibus siue et castellis et ut esset caput omni regno Hyspanie. Venerunt ergo ut eis iussum fuerat, perambulauerunt totam Hyspaniam et secus fluuium qui dicitur Taius inuenerunt locum non ei similem in tota Hyspania. Talis enim erat qualis ei dixerat rex illorum. Ceperuntque hedificare ciuitatem et in septimo anno consummauerunt eam. Tunc legatos suos miserunt ad dominum suum quid uocaret eam. Quo audito rex magno gaudio gauisus est et dixit: sumant memorati consules de nominibus suis VII litteras ; primas V de Tholemone, de Bruto uero duas ultimas litteras et coniungant eas insimul ut sint unum uerbum et unum nomen et iunctis ergo litteris Tholetum uocetur. Ex his uero actibus Tholetum nomen accepit. Et insuper memoratus rex uocauit eam urbem regiam », ibid., p. 194-195. 19 « Darius, qui et Notus, regnauit annos XVIIII. Huius primo regni anno missis ab eo suis proconsulibus Ptholomone et Bruto Toletum in Hyspaniis edificatur et anno VII consumata. De IIIIor primis litteris primi et duabus ultimis secundi uocabulum traxit », I, § 67. 20 ISIDORE DE SÉVILLE ; José CARLOS MARTÍN (éd. et ét.), Chronica, Turnhout, (coll. Corpus Christianorum. Series Latina, 112), 2003, § 215-216, p. 104-105: « Ptolomeus Euergetes regnauit annos XXVIIII. Hoc temporeper consulem Brutum Spania a Romanis obtenta est ». 21 Cf. à ce sujet les remarques de J. ESTÉVEZ SOLA, éd. cit., note 93 p. LXVI et p. LXX. Voir aussi les précisions données par H. de CARLOS VILLAMARÍN, op. cit., note 39, p. 129: « El orden que siguen estas tres diferentes historias varía en la tradición manuscrita. Los manuscritos denominados de redacción breve presentan el orden Gothorum, Vandalorum, Sueuorum ; este mismo orden ofrecen tres manuscritos de la redacción larga[...]. El resto de los manuscritos de la redacción larga, así como la versión de Lucas de Tuy y una noticia aportada por la Crónica silense ofrecen el orden: Vandalorum, Sueuorum, Gothorum. Por su parte, la Renotatio de Braulio de Zaragoza, suerte de elenco de obras isidorianas, ofrece el orden: Gothorum, Sueuorum, Vandalorum, orden que también sigue la Dedicatio ad Sisenandum ». 22 Particulièrement dans les notices qui constituent les § 86 à 137 du livre I. 23 Jacques FONTAINE, Isidore de Séville, genèse et originalité de la culture hispanique au temps des Wisigoths, Turnhout, 2000, p. 224. 24 « Regnum autem Sueuorum deletum in Gottis transfertur, quod mansisse CLXX annorum scribitur », I, § 156, l. 8-9. 25 C'est en tout cas ainsi que la tradition manuscrite transmet ce texte en relation avec l' Histoire des Goths. Voir H. de CARLOS VILLAMARÍN, op. cit., p. 134 et en part. note 56, qui précise que la Recapitulatio figure également indépendamment des histoires dans plusieurs manuscrits. 26 La transmission manuscrite de la Laus Spanie n'est pas toujours dépendante des Histoires. Cf. ibid., p. 135-136. 27 Chronique d'Albelda, dans Crónicas asturianas, introd. et éd. Juan GIL, trad. et notes José L. MORALEJO, ét. préliminaire Juan I. RUIZ DE LA PEÑA, Oviedo, 1985, p. 154. 28 Ibid., p. 155. 29 Voir la préface du Chronicon Mundi qui consiste en grande partie en une louange de l'Espagne, « De excellentia Hispaniae », LUCAS DE TUY; Emma FALQUE (éd.), Chronicon Mundi, Turnhout, (coll. Corpus Christianorum. Continuatio Mediaeualis, 74), 2003, p. 5-10. 30 Le § 196 du livre I s'achève sur la mention tirée de la Chronique d'Alphonse III d'un synode réuni par le roi Wamba à Tolède: « Hic rex synoda Toleto sepius agere ordinauit sicut et in canonica sentencia plenissime declarauit ». Le texte de la Diuisio Wambae est alors copié (§ 197-205), avant que ne soit reprise la suite de la notice asturienne: « Tempore namque Cinduasinsi regis... » (§ 206). 31 « Set mihi, qui regum gesta tantummodo scribere proposui, non est intentio inpresentiarum euoluere quanta et quam crebra miracula per confessoris merita in diuersorum languentium corporibus eiusdem suffragia querentium a diuino opifice sunt perpetrata », III, §10, l. 125-129. 32 ISIDORE DE SÉVILLE; José OROZ RETA et Manuel A. MARCOS CASQUERO (éd., trad. et notes. Introduction Manuel C. Díaz y Díaz), Etimologías. Edición Bilingüe, Madrid, (coll. Biblioteca de Autores Cristianos), 2004, Livre I, § 41, p. 348. 33 Justo PÉREZ DE URBEL et Atilano GONZÁLEZ RUIZ-ZORRILLA (éd.), Historia silense, Madrid, 1959 (désormais Sil.), § 77. 34 Livre III, §3, l. 36 sqq. 35 CICÉRON; E. COURBAUD (éd.), De l'orateur, Paris, 1950-56, vol. 2, II, § 15, p. 31. 36 J. ESTÉVEZ SOLA, éd. cit., p. LXXXIV-LXXXVI. 37 Ainsi font leur apparition dans le récit le comte de Castille Fernán González ou le Cid, mais aussi d'autres personnages plus romanesques, comme la « comtesse traîtresse ». 38 Voir les ajouts réalisés à la Chronique d'Isidore au livre I, § 14, 54 ou encore 63, qui donnent tous des précisions quant à la transmission du pouvoir. 39 Le § 29 du Livre II relate le règne de Ramire II d'après les deux versions de la Chronique de Sampiro. Aux lignes 60-62 la copie intègre même une des interpolations que fait Pélage dans ce texte pour évoquer la descendance que Ramire aurait eue d'une épouse appelée Teresa et surnommée Florentina, de laquelle seraient nés le futur Sanche Ier (955-958/960-966) et une fille, Elvire. Cette épouse est une invention de Pélage, et le paragraphe ainsi constitué donne à penser que Sanche et Elvire ont la même mère qu'Ordoño, premier fils de Ramire destiné à devenir Ordoño III (950-955): « Alors Ordoño, fils du roi Ramire, obtint en mariage la fille de Fernán González, prénommée Urraca. Et Ramire, qui était très pieux, engendra avec Teresa surnommée Florentina, Sanche et Elvire » (« Tunc Ordonius filius regis Ranimiri sortitus est filiam Fredenandi Gundissalui in coniugio nomine Vrracam. Et Ranimirus, qui erat rex mittissimus, ex Tarasia cognomento Florentina genuit Sanctium et Geloiram », l. 59-62). Aussi quelques lignes plus loin l'auteur intègre-t-il à partir des Généalogies de Roda la véritable descendance de Ramire: « Ramire eut deux épouses: la première fut galicienne, et d'elle il engendra le roi Ordoño ; la seconde fut navarraise et s'appelait Urraca, et d'elle il engendra Sancho Ramírez et doña Elvire, consacrée à Dieu » (« Ranimirus iste duas habuit uxores: prima galleca fuit, ex qua genuit regem Ordonium, secundo uero nauarra fuit, que uocabatur Vrraca, et ex ista genuit Sanctium Ranimiri et dominam Eluiram Deo deuotam », l. 85-88). Sans cette précision on ne comprendrait pas bien la suite des événements et l'alliance de Sanche Ier avec les Navarrais pour détrôner son demi-frère Ordoño III. 40 Sur ce sujet voir notamment Marc REYDELLET, La royauté dans la littérature latine de Sidoine Apollinaire à Isidore de Séville, Paris : École française de Rome, 1981, première partie du chapitre X intitulée « L'Espagne et les Goths ». 41 « o sacra semperque felix principum gentiumque mater Spania (...) tu decus atque ornamentum orbis, inlustrior portio terrae, in qua gaudet multum ac largiter floret Geticae gentis gloriosa fecunditas », Cristóbal RODRÍGUEZ ALONSO (éd. et trad.), Historias de los godos, vándalos y suevos de Isidoro de Sevilla, León, (coll. Fuentes y estudios de Historia leonesa, 13), 1975, p. 168-171. Trad. française J. FONTAINE, op. cit., p. 225. 42 « El pueblo godo [ici identifié aux Gètes] aparece entrañablemente unido a la tierra que se alaba, como si se desgajara orgánicamente de ella ; su presencia carece de demarcaciones temporales o históricas, hasta el punto de ofrecerse de él una imagen vegetal. El pueblo godo florece en Hispania como un producto más de la tierra », H. de CARLOS VILLAMARÍN, op. cit., p. 143. 43 J. ESTÉVEZ SOLA, éd. cit., p. LXXXII-LXXXIII. 44 « Sed redeamus ad illum tempus quo Sarrazeni Spaniam sunt adgressi. III Idus Nouembris era DCCLII Araues tamen regionem simul et regno opresso plures gladio interfecerunt, relicos uero pacis federe blandiendo siui subiugauerunt. Urbs quoque Toletana cunctarum gentium uictrix, Ismaeliticis triumfis uicta subcubuit et eis subiugata deseruit. Per omnes prouincias Spaniae prefectos posuerunt et pluribus annis Bauilonico regi tributa persolberunt quousque sibi regem elegerunt, et Cordoba urbem patriciam regnum sibi firmaberunt », Chronique d'Alphonse III, version rotense, § 7-8, dans Crónicas asturianas, éd. cit., p. 122. Traduction d'après Yves BONNAZ (éd.), Chroniques asturiennes: fin IXe siècle, Paris, 1987, p. 38. 45 I, § 211, l. 30-32. 46 « Incipit liber secundus. Mortuo uero Roderico rege Gotorum uacauit terra regum Gotorum IIII annis », II, § 1, l. 1-2. 47 Ainsi différentes versions des règnes de Bermude II et d'Alphonse V, ainsi que de la légende la comtesse traîtresse se succèdent dans les § 33 à 39 du Livre II. 48 Dans ce passage l'origine de León est racontée, toujours sur un fondement étymologique. Pendant le règne de l'empereur Nerva quatorze légions furent envoyées dans la péninsule ibérique pour y détruire les villes construites sur des hauteurs et les reconstruire en plaine, afin que jamais elles n'aient la possibilité de se rebeller contre l'empire. Ainsi naquit la ville de León à laquelle les légions - legio - donnèrent leur nom. 49 « Setpostquam Aldefonsus rex [...] prefatam urbem Legionis reedificauit », II, § 40, l. 16-19. 50 Le dernier paragraphe du Livre II raconte en effet les circonstances de l'assassinat à León de l'infant García, fils du comte de Castille auquel la fille d'Alphonse V et sœur de Bermude III, Sancha, avait été promise. 51 « salus Yspanie et Gotorum gentis exercitus reparatus », II, § 4, l. 19. 52 « filium ex quo solo salus totius pendebat Hyspanie », II, § 39, l. 12-13. 53 « Por neogoticismo se entiende la política surgida del media áulico asturiano destinada a establecer filiaciones institucionales directas entre el incipiente « Reino Astur » y el Reino Visigodo de Toledo », définition proposée par Arsenio DACOSTA MARTÍNEZ, « Notas sobre las crónicas ovetenses del siglo IX. Pelayo y el sistema sucesorio en el caudillaje asturiano », Studia Historica. Historia medieval, vol. 10, 1992, p. 12. Yves Bonnaz, qui traite de la notion à partir du contenu des Chroniques asturiennes, propose pour sa part une définition plus large dans laquelle le néo-gothisme désigne « l'aspiration à rattacher la monarchie nouvelle à celle des Goths et à revendiquer l'héritage tolédan » (Y. BONNAZ, éd. cit., p. LXXXVIII). 54 D'ailleurs Hispania désigne dans ce texte uniquement al-Andalus - sauf en une occurrence où Ispanie désigne les terres chrétiennes de la péninsule. Les batailles, contre les musulmans mais aussi contre les rebelles chrétiens, ne valent dans la Chronique de Sampiro que pour leur résultat final: le retour triomphal du roi dans sa capitale. L'objectif du chroniqueur semble dans ce cas avoir été de soutenir l'existence d'un royaume qui se consolide petit à petit autour de son roi. Edition de référence: Justo PÉREZ DE URBEL, Sampiro, su crónica y la monarquía leonesa en el siglo X, Madrid, 1952. Contra, Amancio ISLA FREZ, « Building kingship on words. Magni reges and sanctus rex in the Asturleonese kingdom », Journal of medieval history, 2002, n° 28, p. 149-261 pour lequel les épithètes qualifiant les souverains dans la Chronique de Sampiro sont empruntées à l'époque wisigothique, et témoignent de l'idéologie néogothique du texte. 55 Hispania désigne dans la Chronique de Pélage la péninsule dans sa totalité, mais uniquement dans des passages où il est question de son unité religieuse et chrétienne. Les rois, s'ils ont pour tâche de faire persévérer cette unité chrétienne, évoluent quant à eux à partir d'un royaume identifié comme le Legionense regnum fortement morcelé en différentes entités régionales: Castille, León, Galice, mais aussi Asturies, Bierzo, Portugal. Il est vrai que Pélage est surtout soucieux dans sa chronique d'assurer le prestige de son siège épiscopal et il s'intéresse en apparence peu aux problématiques politiques de son temps. L'édition de référence est toujours celle de Benito SÁNCHEZ ALONSO (éd.), Crónica del Obispo Don Pelayo, Madrid, 1924. 56 Le commentaire inséré par le chroniqueur à l'issue du règne de Pélage est en ce sens clair: « C'est ainsi que la nation des Goths, comme si elle sortait d'un rêve, commença petit à petit à s'organiser. Ils commencèrent à suivre les étendards dans la guerre, à obéir au pouvoir légitime dans le royaume, à restaurer dévotement les églises et leurs ornements dans la paix, et enfin à louer Dieu de tout l'élan de leur âme, lui qui avait donné la victoire sur une multitude d'ennemis à un si petit nombre» (« Ceterum Gotorum gens, velud a sompno surgens, ordines habere paulatim consuefacit, sciliced in bello sequi signa, in regno legitimum obseruare inperium, in pace eclesias et eorundem deuote ornamenta restaurare, postremo Deum, qui ex paucissimis de multitudine hostium uictoriam dederat, toto mentis afectu colaudare», Sil., § 25). Cette continuité gothique est par ailleurs permanente, puisque le chroniqueur prend bien soin de noter que si Alphonse VI est un roi si bon et victorieux, c'est parce qu'il est « né de l'illustre lignée des Goths (« ex illustri Gotorum prosapia ortus », Sil., § 8). 57 « Et cum predictus rex multa agmina haberet militum, sub era MCXVII" ad partes Toletanas accedens, usque ad VI annos continuos unoquoque anno panem Sarracenis auferens et ab obsidione non recedens cepit Toletum era MCXXIII"», III, § 20, l. 1-4. 58 « quibus locis quibusue machinamentis ciuitas illa, christianorum totius Ispanie olim specula, a paganorum manibus erueretur, imo pectore trusit », Sil., § 9, p. 120. 59 Voir par exemple les louanges d'Alphonse V que l'auteur reprend de l'Historia silense: « Le roi Alphonse fut un père pour les pauvres et les orphelins, un protecteur des églises, plein de miséricorde jusque dans ses entrailles, hardi combattant des Maures et de leurs cités » (« Iste Aldefonsus rex pater pauperum et orfanorum, ecclesiarum patronus fuit, misericordie uisceribus affluens, Maurorum et ciuitatum eorum strenuissimus expugnator », II, § 40, l. 24-26). 60 Les rois chrétiens de la péninsule sont dans l' Historia silense intitulés Ispanici regi (Sil., § 8). Cette appellation est valable aussi bien pour les rois de l'époque wisigothique que pour ceux de l'époque postérieure. Sisebut est Yspanorum princeps (§ 2) ; Wamba, Witiza et Rodrigue sont chacun intitulés Yspanus rex (§ 5, § 15, § 16 et 17) ; les rois goths sont dans leur ensemble désignés Hispanicos reges (§ 6). Puis pour l'époque post-wisigothique c'est Ordoño Ier qui est Ispanicus rex (§ 36). Ferdinand Ier est Yspanus rex au § 92, et enfin Alphonse VI est orthodoxi Ispani inperatoris (§ 7) et Ispaniarum ortodoxi inperatoris (§ 31). 61 « ut famelicus leo cum patentibus campis armentorum turbam oblatam uidit, sic Yspanus rex predia Maurorum sitibundus inuadit », III, § 8, l. 29-31. 62 « Era Mª L XX VIª, Xº kalendas Iulii, consecratus est dominus Fernandus in ecclesia beate Marie Legionensis, et vnctus in regem a venerande memoria Seruando, eiusdem ecclesie catholico episcopo. Qui, postquam cum coniuge Santia sceptra regni gubernandi succepit, incredibile est memoratu, quam breui barbarorum prouintias totius Ispanie formido eius inuaserit, quas in initio maturius depopularet, nisi, ad sedandos regni sui tumultus, prius quorundam magnatorum rebelles animos corrigere sagaciter procuraret », Sil., § 80, p. 183-184. 63 « Post quem sub eadem era Ferrandus eius sororius suscepit regnum in ecclesia Beate Marie Legionenis ab episcopo Catholico Seruando nomine consecratus. Qui in sedandis regni sui tumultibus et ferocibus quorundam magnatum suum suorum animis edomandis per sedecim annos intentus, nichil cum exteris gentibus ultra suos limites belli gessit », III, §4, l. 1-6. 64 Je me permets de renvoyer à une de mes études à ce sujet: Hélène SIRANTOINE, « Memoria construida, memoria destruida: La identidad monárquica a través del recuerdo de los emperadores de Hispania en los diplomas de los soberanos castellanos y leoneses (1065-1230) », à paraître dans les actes du colloque Construir la identidad en la Edad Media. Poder y memoria en la Castilla de los siglos VII al XV, qui s'est tenu à Cuenca les 5-7 novembre 2007. 65 Alors même que l'auteur de l' Historia silense n'en arrive finalement pas à son propos initial, qui est de relater le règne d'Alphonse VI, ce dernier est à trois reprises intitulé « empereur » dans les introductions et transitions qu'insère l'auteur à son œuvre: orthodoxi Ispani inperatoris (Sil., §7), Ispaniarum ortodoxi inperatoris (§31), noster imperator (§74). 66 « Aldefonsum qui postea Yspaniarum extitit imperator », III, §22, l. 5-6.
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