Roma, Trastevere
 

 

 

Au commencement est toujours le verbe. Gonzalo de Berceo ne pouvait faillir à cette règle et il affirme à sa façon, dès l’introduction des Milagros de Nuestra Señora, le premier de ses miracles, le miracle de l’écriture :

Quiero en estos árbores un ratiello sobir
e de los sos miraclos algunos escrivir;
la Gloriosa me guíe qe lo pueda complir,
ca yo non me trevría en ello a venir.
Terrélo por miráculo qe lo faz la Gloriosa
si guiarme quisiere a mí en esta cosa;
(str. 45-46 ab, éd. de B. Dutton)

Tel pourrait être l’adroit retournement d’une conclusion rhétorique qui viendrait couper l’herbe du “buen prado” sous notre pied en quête de champ sémantique. D’ailleurs, puisque pareil miracle est bien une chose admirable, peut-être le clerc n’est-il descendu dans cette arène que pour mieux échapper aux bêtes, pour son plaisir en somme. Mais la curiosité demeure à propos d’un des noyaux bercéens de signification les plus évidents et qui, par position, entretient des relations directes avec la plupart des autres champs de la sociabilité et de la spiritualité au cœur de la médiation, celle du clerc et celle des saints qu’il honore : le miracle.

Par le passé, l’intérêt porté au comportement de l’homme nous a conduit à envisager la question de la “religion populaire” au travers des recueils de miracles[1]. Il nous épargne ici les rappels historiques et critiques pour adopter une définition pratique apte à considérer globalement des formes de religion auxquelles participaient plus ou moins l’ensemble des couches de la société, une sorte de dépôt commun sur lequel des attitudes diverses pouvaient imposer des degrés de raffinement. Mais il ne fait pas de doute que surgissent des difficultés très particulières dès lors que l’on en vient à utiliser des œuvres littéraires sans doute animées par des intentions spécifiques, qu’elles soient esthétiques, idéologiques, matérielles..., pour fondement d’une approche largement historique. Plus ou moins dense et soutenue par tous les artifices de l’écriture au nombre desquels la liberté relative du créateur médiéval et sa volonté didactique, la fiction littéraire[2] projette un brouillard souvent épais qui a pu décourager bien des initiatives.

 Toutefois, ces obstacles redoutables ne paraissent pas totalement insurmontables. Nombre d’ouvrages de Gonzalo de Berceo, peut-être la totalité de ses œuvres, sont apparentés ne serait-ce que spatialement, par le site ou le terroir de San Millán de la Cogolla. La concentration des personnes saintes et des saints personnages qui en résulte est une donnée qui pourrait servir à l’isolement de tel ou tel trait dans l’étude du sacré émilien. Mais, pour tentant qu’il soit de vouloir clarifier certaines notions comme celles que l’on devine derrière, par exemple, l’expression “alcalde derechero” (Milagros, 244), ce procédé risquerait d’aboutir à une approche ponctuelle extrêmement éclatée[3].

 Afin d’espérer restituer le corpus des miracles bercéens dans sa complexité et de la manière la plus totale possible, il faudrait être en mesure d’apprécier exactement la dimension linguistique, par exemple au terme d’une étude des documents émiliens au sens régional du terme, rédigés entre la fin du xiie siècle et 1265 environ. Il conviendrait aussi d’être capable d’inclure pleinement d’autres aspects comme la dimension iconographique, non seulement celle des ivoires du reliquaire de San Millán de la Cogolla[4] mais aussi de la Vierge et d’autres encore. Ces précautions posées, je considère donc les miracles pointés dans la Vida de san Millán de la Cogolla, la Vida de santo Domingo de Silos, les Milagros de Nuestra Señora, le Poema de santa Oria et le Martirio de san Lorenzo. Pour des raisons de commodité, je ne reproduis pas ici les tableaux élaborés et j’en présente directement les observations.

D’abord, à l’évidence, cet ensemble que l’on regroupe traditionnellement sous l’étiquette hagiographique n’est pas aussi homogène qu’on pourrait ou voudrait bien le croire[5]. Par essence, les Milagros de Nuestra Señora s’organisent en fonction du salut garanti par la Vierge[6]. Dans ce cas d’espèce, vouloir observer l’activité salvatrice de ce glorieux personnage in vita, puis post mortem, n’aurait guère de sens. D’autre part, ces miracles ne présentent qu’un seul cas de guérison “médicale” (Miracle IV, str. 116-131). En outre, un des éléments de la série peut relever du domaine du visionnaire (Miracle XII, str. 281-305). À cet égard, le Poema de santa Oria — titre retenu à partir de l’édition critique de Isabel Uría Maqua (Logroño : Instituto de Estudios Riojanos, 1976) qui fournit aussi les références qui suivent — ne saurait exactement relever de la juridiction des miracles mais bien plutôt de celle des visions et, de ce fait, son traitement doit réclamer une série d’attentions spécifiques.

Comme le titre qu’on lui donne le suggère également, le Martirio de san Lorenzo appartient à un autre ordre encore. Par son nom même, le martyr est d’abord là pour apporter son témoignage. En outre, la relation est interrompue à un moment tel que le lecteur est laissé, pour ainsi dire, sur le gril. De ce fait, le récit ne présente évidemment pas de développements ultérieurs, ni à propos de la tombe du saint, ni sur ses activités d’outre-tombe. On ne peut donc prendre en considération que trois miracles de son vivant (str. 50, 55 et 80), des guérisons (str. 47-49, 85 et 90), ainsi que le châtiment infligé à Decius.

Restent les deux “véritables” vies de saints que sont les œuvres consacrées à Millán de la Cogolla et à Domingo de Silos. La première permet de comptabiliser treize miracles in vita, dont neuf appliqués à des personnages masculins, et quatre post mortem dont les bénéficiaires se répartissent à égalité entre hommes et femmes. Au total, on observe davantage de cas de possession que de cas plus strictement “médicaux”. La seconde, outre un songe (str. 229 et suiv.) et des visions (strophe 248), propose une bonne dizaine — dix ou onze selon les calculs — de miracles in vita dont deux appliqués à des personnages féminins et deux douzaines — vingt-quatre ou vingt-cinq selon les mêmes calculs — de miracles post mortem répartis à peu près également entre hommes et femmes. Dans cette dernière catégorie apparaissent deux cas de libération de prisonniers. On remarque le doublement du nombre des miracles post mortem et on observe aussi que la plus forte proportion est constituée par des guérisons.

Globalement, il semble que l’intérêt des miracles in vita est de manifester une sainteté vivante. Mais, sans prétendre ici renouveler la question de fond en comble, on peut imaginer que ce concept n’était sans doute pas, y compris pour l’Église, indiscutable. Le nombre supérieur de miracles post mortem pourrait donc servir, à travers une sorte de contrôle ecclésiastique, de confirmation à la sainteté. Corollairement, il avait aussi le pouvoir de convaincre des contemporains -peut-être assez incroyants- et d’asseoir la valeur économique du sanctuaire.

Au-delà de cette mathématique, les renseignements enregistrés peuvent permettre d’esquisser une topographie sommaire et d’espérer tirer, par exemple, des enseignements à partir des lieux de résidence des miraculés, ou de provenance des pèlerins par rapport aux sanctuaires considérés[7]. Pour avoir brossé ce paysage ailleurs[8], je m’en tiens ici à quelques relevés. Dans la Vida de san Millán de la Cogolla, on observe une certaine proximité avec des exemples tels que Madriz, proche de Berceo (str. 111-125), Amaya en Castille (str. 137-153) et Parpalinas (str. 181-198). Dans la Vida de santo Domingo de Silos, on note des miracles in vita associés à Castro Cisneros (str. 290-314), au voisinage de Silos (str. 335-350), à Soto (str. 353-375), Gomiel (str. 398-417), Yécola (str. 419-437) et Monte Ruyo (str. 463-478) puis, dans la série post mortem : la région aragonaise (str. 538-548), Tabladiello (str. 549-556), Palencia (str. 557-570), Espeja (strophe 571), Cornejana (str. 572-577), Agosín (str. 578-580 et 622-625), Fuentoria (str. 581-590), Coriel et Villanueva (str. 603-605), Enebreda (str. 606-608), Tordomar (str. 617-621), Celleruelo (str. 626-635), Olmiellos et Yécola (str. 636-643 et 675-678), Cozcorrita-sur-Tirón (str. 644-674), Penna Alba (str. 679-699), Hlantada (str. 700-733) et Fita, dans la province de Guadalajara (str. 734-753), sans oublier dans ce tour d’horizon la Galice (str. 388-396) avec le comte Pelayo.

On pourrait donc dresser la carte et s’ingénier à conclure qu’il y a une volonté de précision toujours accrue, ou le désir d’étendre le champ des interventions de plus en plus loin. On pourrait également, de manière plus novatrice, remarquer que ces miracles ne sont généralement pas localisés dans des agglomérations, et notamment pas des cités en expansion. Relativement éloigné des villes, le miracle bercéen n’est peut-être pas sans aucune relation avec elles. On pourrait l’envisager aussi comme une réponse globale à un développement de consciences urbaines aux saintetés parfois seulement protectrices de tel ou tel ouvrage -une chaussée plus au nord par exemple- et aux populations alors mouvantes et souvent déracinées.

Les recensements effectués peuvent également inciter à établir une sorte de portrait-robot des personnages qui peuplent les récits. On énumérerait ainsi, pour ce qui est des Milagros de Nuestra Señora, clercs, pauvre, larron, naufragé, marchand, enfant... et, dans la Vida de san Millán de la Cogolla, moine, serviteur, serf, sénateur, voleur... En prenant l’exemple de la Vida de santo Domingo de Silos, on pourrait encore ajouter à la liste des fonctions celles de jardinier, “peón” et poursuivre celle des titres avec le comte de Galice, “don Garci Muñoz” et quelque “cavallero”, sans oublier les abbés et les rois.

Il serait encore envisageable de s’intéresser aux noms des personnages : María, Oria, Juan, pour prendre des exemples dans les miracles du vivant de Domingo, et ensuite Ananía, Juan (deux fois), María (cinq fois), Cid, Sancho, Fruela et Munno, Orfressa, Xemena, Diago, Ovenna, Olalia, Serván, Peidro. Mais ces comptages, s’ils peuvent contribuer sans doute à restituer un certain environnement, restent à la surface des choses.

Il est indubitable que l’enracinement géographique des miracles contés par Gonzalo de Berceo est lié aux sources qu’il a utilisées. Le poète lui-même indique -toutes précautions utiles prises par ailleurs pour estimer ces formules- qu’il se trouve dans l’incapacité de préciser tel ou tel endroit à cause de difficultés personnelles de déchiffrement (“el logar no lo leo, decir no lo sabría”, Miracle III,  strophe 76b) et, dans la plupart des autres pièces des Milagros de Nuestra Señora, il renvoie scrupuleusement à des aires déjà définies comme “Bizancio” (Miracle XXIII, str. 625-702), “Colonna” (Miracle VII, str. 160-181), “Roma” (Miracle X, str. 236-269), “Pavía” (Miracle XII, str. 281-305 et XIII, str. 306-316), “Pisa” (Miracle XV, str. 330-351), à la France via “Borges” (Miracle XVI, str. 352-377) ou le Mont-Saint-Michel (Miracle XIV, str. 317-329 et XIX, str. 431-460) et, pour l’Espagne, aux villes de “Toledo” (Miracle I, str. 47-74 et XVIII, str. 413-430) et de “León” (Miracle XXIV, str. 703-747)[9].

La plupart des miracles rapportés dans la Vida de san Millán de la Cogolla ont lieu au monastère même. Quelques autres cas peuvent être localisés au village de Berceo (str. 11-125), à Parpalinas en Rioja (str. 188-189), au pâturage de La Varga près de San Millán (str. 271-278), à Cantabria (str. 281- 293) sans compter les interventions en Castille (str. 429...) à l’occasion des “votos” terminaux.

Dans la Vida de santo Domingo de Silos, presque tout se déroule à Silos si ce n’est, dans les miracles in vita, un épisode à “Clunna” (str. 433-442), localité distante de quelques lieues, et un autre au “Monte Ruyo” (str. 463-478), pas très éloigné non plus. Pratiquement tous les miracles post mortem se produisent au contact même du “sepulcro” et du “cuerpo sancto”.

Sauf circonstances et personnages exceptionnels, le cercle d’abord local tend à rester plutôt castillan et à se recentrer sans cesse, et puissamment, sur le monastère émilien. A cet égard, la figure de Millán, première chronolo-giquement dans l’œuvre de Gonzalo de Berceo, doit être l’objet de toutes les attentions. Son sanctuaire a vu passer l’enfant né au village voisin de Cañas qui deviendra grand sous le nom de Domingo de Silos. Il conserve les corps saints de Oria et de sa mère Amuña. Il est situé à l’ombre du Pico de San Lorenzo et il ne fait guère de doute qu’il diffuse un culte marial remarquable. Nées d’un terroir et largement destinées à ce terroir, les œuvres de Gonzalo de Berceo diffusent certes au-delà : vers les Pyrénées via Huesca, patrie de Lorenzo; vers la Castille toute entière via Silos, après avoir débouché au sud de la Sierra de la Demanda; vers l’ouest via le Léon et la Galice sur les terres de saint Jacques qui, considéré depuis San Millán de la Cogolla, n’était après tout que l’autre co-patron du territoire (VSM, str. 429 et suiv.). Mais elles ramènent au sanctuaire émilien où, par l’effet d’une prière arrosée d’eau bénite, les “vanas maestrías” des mauvais médecins et autres saints de piètre qualité seront heureusement oubliées. Saint Domingo hérite de la même capacité qu’il exerce à Silos.

Peut-on de la sorte imaginer pouvoir cerner un peu mieux le ou les publics de Gonzalo de Berceo? Rien n’est moins sûr. On pense à des religieux, sans doute, des moines peut-être, vraisemblablement pour les assurer de la puissance de leur saint patron, pour qu’ils s’en montrent dignes, pour qu’ils gardent confiance si la fondation venait à traverser quelque crise, affrontée le cas échéant à la montée en puissance d’autres lieux de culte[10], sans omettre l’intention éducative, celle d’une formation que l’on dirait aujourd’hui initiale comme un manuel d’instruction pour novices voire continue avec, par exemple, le Sacrificio de la misa. On pense aussi à des laïcs, nobles seigneurs trouvant en la personne du saint un interlocuteur, ou plus humbles mortels invités à honorer inlassablement le monastère -on estime que la durée des séjours oscillait entre un et trois jours- dans le cadre géographique élargi par les “votos” de Fernán González revus et corrigés. Tout est possible, dans une double visée à la fois qualitative et quantitative.

A partir de l’examen de ses miracles, on pourrait également tenter d’ébaucher les traits d’une mentalité bercéenne qui entend assurer son salut en  assurant celui de ses semblables. Elle tend à protéger le patrimoine monastique contre les sacrilèges des larrons, des voleurs et autres seigneurs cupides à travers les âges. Elle demande à recevoir dons, actions de grâce et protections, notamment de la part des rois les plus puissants. Elle prétend aussi attirer des gens, sans doute pas seulement des pèlerins, qui se sentiront à San Millán de la Cogolla protégés, comme dans un cercle magique, sous une bulle d’espace favorable qui procure les plus sérieuses garanties de salut. Telle pourrait être la leçon de Gonzalo de Berceo entre terreur (crimes et châtiments) et confiance (actes de foi et aides salvatrices)[11].

Mais, comme on l’a dit, il faut prendre en considération que Gonzalo de Berceo procède à partir de sources. Dès lors qu’on peut les connaître, au moins partiellement, ne doit-on pas conclure qu’il reflète davantage la mentalité de ses prédécesseurs que la sienne propre, celle de ses “autorités” écrites en latin par exemple plutôt que celle de son époque? On a déjà montré que, sur certains points, il savait utiliser d’autres supports d’inspiration que les textes, même s’il s’agit en l’occurrence d’un reliquaire également local, ou se montrer plus sévère que la norme envers certains groupes sociaux. D’autres analyses montreraient que le saint de Gonzalo de Berceo est encore très “généraliste”. Il soigne et il exorcise, du fait même des sources utilisées et qui renvoient à une époque antérieure alors que, à l’époque du poète, les cas de possession vont faire l’objet d’une spécialisation de plus en plus grande et finir par être confiés, en allant vers l’automne du Moyen Age, au seul exorciste.

Pour rester sur le cas de la Vida de san Millán de la Cogolla et sans interférer avec les remarques consignées par Brian Dutton dans son édition critique (pp.199-213), on observera que Gonzalo de Berceo se détache de son modèle en quelques occasions. Il omet (str. 154-157) que la fille a été aveugle “per tempora longa”. Il va s’attarder (str. 260-270) pour conter la maladie de Millán (“enflaquecido”, “vejez”). Plus loin (str. 294-314), il détaillera les maux endurés :

empeçoli un poco a doler el costado;
desent el cuerpo todo fue del mal embargado. (295bc)

Même si l’on fait la part christique de cette dernière précision, ces quelques indications permettent de remarquer une approche relativement concrète des phénomènes. Lieu constitutif de l’expérience, le corps devient un espace expressif porteur de signification. L’homme a un corps mais, mieux, il est son corps. Davantage qu’à une phénoménologie de la perception, le corps invite à regarder les maladies comme la face visible du péché. Au corps malsain, celui marqué par des états qui ne sont plus correctement intégrés dans  la norme de la société, doit se substituer le corps sain au terme d’une nouvelle régulation qui redonnera unité et harmonie. Par son aptitude et sa capacité de puissance, qu’il tient du plus haut des cieux, le corps (du) saint assurera cette fonction, évidemment hiérarchisée mais toute d’humanisation puisque, y compris lorsqu’il aide à mourir, il aide à vivre.

Dans le nœud de valorisations qu’il représente, l’organisme atteint par le mal peut prendre diverses postures. Les saints bercéens abandonnent la vie terrestre avec une belle sérénité : Millán, avisé par un lancinant point de côté, considère que “la ora es llegada” (strophe 299c) pour “exir de lazerio” (strophe 294c); Domingo lui aussi perçoit positivement les signes de sa fin (strophe 490) et, déclinant lentement (strophe 491 : “fo perdiendo la fuerça”), va vers l’issue annoncée avec plaisir (“plogo”, strophe 490d; “plazenteria”, strophe 492c; “rendió a El la alma a muy grand su sabor”, strophe 521d); sainte Oria, qui sait mieux que quiconque endurer les sacrifices de sa passion (“padir”, strophe 175d), est à peine affectée (“aquexando”, strophe 176b) avant son départ pour le Paradis (strophe 177d : “rendió a Dios la alma”) et Lorenzo assume avec une belle ardeur son rôle de martyr au milieu des flammes : “faziénli a Laurencio plazer más que pesar” (strophe 102).

La sainte et paisible mort aux allures d’un Ars moriendi crée le modèle d’un héroïsme, le mal offrant l’occasion de se détacher de plus en plus du monde et de faire de l’agonie une véritable approche de Dieu. Tous quittent leur enveloppe charnelle dans une sorte de blanche métaphore, celle de l’âme. Dans les autres cas, les organes frappés par la maladie semblent au contraire noirs, comme si le corps du pécheur n’était pas spiritualisé. Ce n’est alors qu’un corps grossier, rien de plus, qui prête à sa manière à la même fonction de symbolisation. Vecteur analogique, le corps montre en effet l’enjeu de la totalité qui s’incarne dans le modèle organique. La maladie, comme métaphore, est le germe de la mort. Et la mort est essentielle pour, par la grâce du salut, renaître.

La Vida de santo Domingo de Silos confirme cette tendance. La description de la maladie (str. 292-294) est très clinique : pieds, doigts, yeux, bouche... Même lorsqu’une modification du texte survient (str. 335-350 où la douleur des yeux devient “tal mal a las orejas”), le sens du concret reste très marqué. On le retrouve avec deux exemples de goutte. Le premier (str. 398-417) présente la “gota cadiva”, mal caduc assimilé à une forme d’épilepsie, et le second (str. 549-556) est une “traduction” du latin “febris”. Ce dernier exemple pourrait indiquer, outre le choix de renforcer l’expressivité poétique, l’impact relativement important de ce genre d’affection au moment où Gonzalo de Berceo écrit et une manière non négligeable de toucher un public qui en avait une connaissance intime. Le cas de lèpre (str. 463-478) est beaucoup plus précis que la description latine d’un corps “ulceribus plenus” et, plus loin encore (str. 538-548), Gonzalo de Berceo s’attache à décrire toute une série de symptômes (“prolongada”, “miembros”, “manos”, “ojos”, “braços” …).

On fera évidemment la part des effets rhétoriques dans ces énumérations de membres où s’accumulent les infirmités comme à plaisir mais on retiendra aussi une indéniable focalisation sur la douleur. On ne saurait se contenter d’en souligner l’utilité au moment de nourrir l’expression littéraire, et plus généralement artistique, en se référant à l’âge baroque. On pourrait renouveler cette approche en songeant à se pencher sur la corporéité, cerner quelle est exactement la représentation du corps, son caractère plus ou moins spectaculaire, l’esthétique qu’elle dévoile et les codes qu’elle exalte, ses métamorphoses artistiques aussi. Dans le cadre du miracle qui nous occupe, cette mise en évidence des maux permet de procéder à un pré-décodage. La douleur annonce non seulement le siège du mal concret, mais aussi le diagnostic et, de là, l’évolution qu’il est possible d’entrevoir. Cette présentation revient aussi à installer les termes de la question de fond, tels les plateaux d’une balance : que risque-t-on à chercher le remède et que peut-on gagner en le trouvant? Pour les saints de Gonzalo de Berceo et l’interpretador (Milagros, strophe 911b) de leurs miracles, les réponses sont claires puisque, au-delà du bien-être recouvré, la santé n’est qu’une image du salut.

Plus encore qu’une justification “technique”, il y a dans tous ces miracles une explication pour ainsi dire visuelle. Leur présence renforce et magnifie la présence dominante du saint en lui associant les éléments qu’ils véhiculent. A la manière des volumes complémentaires de la statuaire, ils répartissent l’intensité de la lumière projetée sur le pôle sacré et lui confèrent à la fois sa dimension symbolique et son action pratique de convaincre, par accumulation, de l’intérêt qu’il y a à se tenir dans la mouvance de tel ou tel bienfaiteur. Tout mal trouve moyen de se nier dans un paradis. Ainsi sommes-nous conduits de plus en plus à voir les difficultés du Moyen Age à travers le rêve de Gonzalo de Berceo.

Celui du saint inclus, le corps montre des façons de faire qui sont autant de manières de dire. Pourquoi souffrir? Face au vide de l’absence de réponse, l’idéal bercéen propose la réplique ascétique. Le salut est la perspective qui répond au problème essentiel, celui du sens de la vie. Jusque-là perçu comme un animal maladif, l’homme prend conscience qu’il est rempli de spiritualité et il peut succomber à l’espèce de mirage de l’immortalité présenté, par exemple, par les visions de sainte Oria qui rend son âme à Dieu et “nunca más sintió mal” (str. 177d). Philosopher, pour Gonzalo de Berceo aussi, c’est apprendre à mourir. Ce que savent faire les saints, sauver la volonté par une volonté d’anéantissement, assurer leurs renoncements par une maîtrise de soi -une définition qui s’applique parfaitement aux disciplines ascétiques de sainte Oria et que l’on pourrait rapprocher de celle du “mester de clerecía”-, l’homme doit s’en inspirer : il faut savoir perdre la vie pour la sauver. Au-delà se tient l’issue, exitus, le succès de l’entreprise. Avec la délivrance du corps, en se délivrant de ce corps douloureux pour s’occuper de son âme et aller vers les choses célestes à l’image exemplaire de sainte Oria, l’être ainsi délesté pourra décoller, s’élever vite et monter jusqu’aux cieux, renaissant à une vie nouvelle, de meilleur prix.

On voit ainsi se profiler, plus qu’une très hypothétique “réalité” bercéenne, une atmosphère où la douleur, signe de sensibilité aux circonstances de la vie, paraît presque chronique. Sa dimension socio-culturelle dans le domaine du religieux le souligne. On pourrait d’ailleurs appliquer à cette douleur comme phénomène culturel les questions que l’on posait à propos du métier de clergie, celle de sa conscience et celle des seuils en deçà et au-delà desquels sa définition évoluerait. Enfin, la douleur fait du monastère devenu hôpital une structure décisionnaire où les grandes questions trouvent dans la médecine sacrée leur solution : le miracle. Nous sommes donc bien là au cœur du sujet, que nous avons voulu approcher sous divers angles méthodologiques[12]. Quelles classifications pouvons-nous opérer parmi les miracles? La typologie présente surtout deux grandes familles. L’une, positive, considère le miracle comme une faveur; l’autre comme un châtiment. Les guérisons fournissent les occasions les plus remarquables du premier groupe : une dans les Milagros de Nuestra Señora, six dont cinq in vita dans la Vida de san Millán de la Cogolla, dix-neuf dont quatorze post mortem dans la Vida de santo Domingo de Silos, sept dans le Martirio de san Lorenzo. Ces chiffres à l’état brut montrent bien le rôle immense du saint guérisseur. Son action thaumaturgique paraît résulter et d’une demande du fidèle, et de la capacité du saint à lui fournir une réponse à la fois précise et efficace.

Les protections constituent un deuxième ensemble. Elles peuvent même constituer le premier si l’on veut considérer qu’une guérison découle de l’action protectrice du saint. Pratiquement toutes les interventions des Milagros de Nuestra Señora, y compris celles de la statue du Christ (Miracle XVIII) ou de la Vierge (Miracle XIV) sont protectrices même si, au sens strict du terme, le chiffre de quatre pourrait être retenu. On relève quelques sept protections dans la Vida de san Millán de la Cogolla, notamment envers des possédés, et une dans le Martirio de san Lorenzo.

Les visions, qui méritent un traitement distinct, sont au nombre de deux ou trois dans la Vida de santo Domingo de Silos, auxquelles on ajoutera celle des Milagros de Nuestra Señora (Miracle XII) et l’ensemble du Poema de santa Oria. Les deux derniers miracles de la Vida de Domingo de Silos sont des délivrances de prisonniers apparemment redevables à l’atmosphère de la Reconquête, mais on ne saurait les dépouiller de toute autre intention. Parmi les Ordres Mendiants, Mercédaires et Trinitaires notamment s’étaient spécialisés dans la collecte des fonds nécessaires au rachat de prisonniers captifs en terre d’Islam et ils bénéficiaient de certains privilèges comme l’attribution du cinquième des biens des défunts intestats. Il n’est vraisemblablement pas sans signification que, dans l’atmosphère émilienne bénédictine, un saint local généraliste ait le pouvoir, dans une palette de capacités variées, mieux que de racheter, de délivrer des prisonniers. Au total, cet ensemble présente des caractéristiques qui, si elles semblent relativement traditionnelles dans le genre de littérature considéré[13], peuvent porter en elles des spécificités.

Notre propos n’est pas de nous interroger sur le caractère miraculeux ou non de ces faveurs célestes. Dans certains cas, il n’est pas impossible que des circonstances favorables aient pu contribuer à d’heureuses issues. Ainsi, pour expliquer telle ou telle guérison, on peut imaginer des rémissions par évolution naturelle de maladies, voire des lectures psychosomatiques, ou bien encore et plus simplement la concentration des douleurs sur des périodes de l’année du fait des cycles des travaux agricoles notamment. On doit aussi relever le caractère souvent symbolique des maladies prises en considération : cécité, paralysie, etc. Quoi qu’il en soit, toujours, c’est la foi, l’interprétation des miraculés, ou du poète, qui fait apparaître les faits relatés comme autant de grâces du Ciel. C’est la merveille qui est le miracle[14] et c’est le regard qui fait le miracle.

L’interprétation est aussi l’élément central des visions. Si l’on excepte le douzième des Milagros de Nuestra Señora, la détection des diables incendiaires de la Vida de san Millán de la Cogolla et les trois scènes illustrées par des couronnes dans la Vida de santo Domingo de Silos, les visions que l’on peut considérer sont regroupées dans le Poema de santa Oria en trois occasions (str. 28-111, 119-139 et 140-154). On remarque que la vision est un phénomène plutôt nocturne, qui se produit après minuit une fois en novembre (str. 119-139) ou en fin de nuit après les matines (str. 28-111) et trois nuits après Noël. Ces précisions chronologiques sont liées au second trait caractéristique de la vision; elle est prémonitoire. Oria va décéder en mars (strophe 179) et elle voit dans ses songes le Paradis auquel elle est destinée.

La vision est toujours interprétée par l’onéiromancie bercéenne comme un signe du Ciel. Une fois encore, la Vierge semble un élément essentiel de l’instance céleste (str. 119-139). Une nouvelle fois, la manifestation de la divinité est en relation avec des phénomènes psychologiques (lorsque Oria est malade aux str. 140-154) ou psychosomatiques (lorsque sa mère Amuña a elle aussi une vision aux str. 167-171). Par nature individuelles, ces expériences sont une des facettes d’une mentalité qui s’efforce d’établir un lien avec l’invisible divinité par le truchement de ses envoyés, à l’image du contact que procure l’attouchement avec le tombeau. Les sépultures des élues en question joueront ce rôle à leur tour puisqu’elles sont capables d’intercéder à partir du sanctuaire émilien (str. 182-186).

De San Millán de la Cogolla se dégage ainsi l’image d’une solidarité lignagère, propre à une conception sociale stable, qui plonge ses racines dans un terroir peuplé de parents et de voisins, une sorte de famille avec sa maison et ses enfants fidèles. Peut-être devrait-on aller jusqu’à considérer cette volonté stabilisatrice des récits bercéens comme l’indice d’une menace de dissolution, rendue plus sensible encore par des mouvements démographiques. En effet, en inventoriant l’Au-delà pour mieux le connaître et mieux enchâsser la mort, en le peuplant de ces parents et amis dont le nombre augmente aussi avec la création de nouveaux intercesseurs en vue de grandes retrouvailles post mortem, ne s’agit-il pas de traduire une recherche accrue de sécurisation et de paix?[15]

A l’instar de mes remarques sur les ivoires, Simina M. Farcasiu a relevé l’apport local, littéraire et iconographique que San Millán de la Cogolla mettait à la disposition de Gonzalo de Berceo[16]. John K. Walsh a davantage mis l’accent sur une élaboration plus externe, le poète utilisant, selon lui, une connaissance de la littérature de visions de l’Au-delà d’influence cistercienne pour construire ses propres images et sa structure symbolique[17]. Observons simplement que les deux possibilités ne sont pas exclusives l’une de l’autre. Cette ambivalence rejoint celle de la théologie qui, en positif, considérait le songe visionnaire comme une relation privilégiée, une médiation prophétique avec Dieu, une révélation mais, en négatif, voyait là comme une épreuve du démon, avec ses tentations vaines et illusoires, hautement condamnable. La lexicographie n’est pas en reste de problèmes entre “somnium” et “dormire”, songe, anticipation, authenticité, utopie et vérité.

Davantage que des procédés hallucinogènes, la vision chez Gonzalo de Berceo semble révéler des hantises nocturnes, à commencer par celle du démon que tel curé des Milagros rencontre en chemin, des peurs redevables à une vie peu sûre menacée par bien des périls, des angoisses et d’abord celle de la mort. La dramatisation littéraire qui se charge d’exprimer cette crainte en renforce les traits, ne serait-ce qu’en distillant l’image d’un Paradis accueillant, peuplé des bonnes gens du terroir, honnêtement connus et vecteurs privilégiés de l’enseignement de Gonzalo de Berceo. Le sensationnalisme religieux pose lui- même le diagnostic de la précarité et du désordre du réel face à l’inconnu de l’Au-delà.

Les châtiments constituent un deuxième type de miracles. A défaut de trouver de véritables blasphémateurs, on rencontre dans les récits bercéens des voleurs et des adversaires des biens ecclésiastiques. Dans la Vida de san Millán de la Cogolla (str. 271-278), Turibio et Simpronio dérobent une bête en pâture à La Varga et sont frappés de cécité. Ils devront restituer l’animal et en passer par la pénitence pour se tirer de ce mauvais pas. Dans la Vida de santo Domingo de Silos (str. 419-432), Garci Munnoz est un voleur que Dieu juge et punit, lui conférant un statut particulier puisque le personnage reste frappé d’infirmité. Mieux vaut être infirme au Paradis que sain de corps en Enfer, telle semble être la leçon à retenir. Un peu plus loin (strophe 479), les rusés pèlerins n’emportent finalement rien mais, pour leur punition, en viennent piteusement aux mains. L’épisode est plus risible que celui rapporté par le premier des Milagros de Nuestra Señora qui voit Sïagrio châtié par étouffement aussitôt qu’il passe la chasuble usurpée, ou que la destruction de Cantabria (VSM, str. 281-293) dont les habitants n’ont pas voulu entendre la prophétie.

Quant aux voleurs des biens de l’Église, théoriquement sacrilèges depuis l’an 909, la distinction paraît se faire entre le jardinier de la Vida de santo Domingo de Silos (str. 377-383) qui, pour son repentir, se verra dans l’impossibilité d’arracher des légumes ou ce voleur dévot que la Vierge sauvera de la pendaison (Miracle VI, str. 142-152), ou bien encore ce clerc voleur trié d’entre les autres (Miracle XXIV, str. 703-747) et le prototype du méchant véritable, le mauvais Decius, empereur de Rome promis à l’Enfer pour avoir persécuté Lorenzo sans comprendre quels étaient les vrais trésors de l’Église.

40Dans ces cas là, où l’action fautive est manifeste -c’est encore ce que l’on constate avec les trois chevaliers profanateurs (Miracle XVII, str. 378-412) finalement sauvés mais auparavant soumis au feu céleste-, comme dans ceux où un miracle “positif” est opéré à la suite d’une demande, la proximité de l’intervention du Ciel souligne son caractère surnaturel. Pour une dizaine d’entre eux, les miracles de la Vida de san Millán de la Cogolla sont presque immédiats. Le temps de quelques prières, une nuit, parfois quelques jours suffisent dans la Vida de santo Domingo de Silos. Tout va très vite également dans le Martirio de san Lorenzo (str. 52, 62, 83) où le miracle est aussi présenté en direct puisque le saint est insensible aux flammes.

Le catalogue des châtiments comme celui des interventions salvatrices reflète sans doute les circonstances matérielles médiévales. Qu’il s’agisse de l’état sanitaire des populations, de la modeste qualité de la médecine des hommes ou de certains désordres sociaux auxquels la structure émilienne pouvait avoir à faire face, la typologie des miracles montre, a contrario, les misères devant lesquelles les hommes du Moyen Age, et le clerc lui-même, se sentaient démunis. La comptabilité des demandes non exaucées, si elle était possible, le démontrerait plus encore. Peut-être serait-elle même un procédé de  dramatisation supplémentaire qui créerait une tension supérieure encore et renforcerait assurément l’impact moralisateur. En effet, le rôle primitif du miracle est au moins autant préventif que curatif. A travers le pouvoir de suggestion de la chose rendue sensible et corporelle, dans l’association du châtiment au crime, le miracle introduit une menace, une contrainte, une culpabilisation qui font de lui un réel instrument de pouvoir.

Abordée en quête d’une mentalité, cette lecture des miracles éclaire finalement une conception intime de l’événement. Cherchant à répondre à des inquiétudes concevables ou à des sentiments de détresse irraisonnée, le public des récits bercéens guette les manifestations miraculeuses. Il boit les paroles qui lui disent les signes du divin et lui indiquent le chemin vers le salut. De ce point de vue, les miracles contés par Gonzalo de Berceo, si répétés qu’ils en deviennent quotidiens et presque communs, rituels, traduisent la fraternité de la psychologie médiévale avec l’invisible soulignée par Jacques Le Goff. Ici, le surnaturel est pour ainsi dire naturel[18].

La rudesse des conditions de vie, sans doute accrue encore par l’effet d’antériorité des sources de Gonzalo de Berceo, peut être une explication à l’expression d’aspirations punitives comme celles qui apparaissent dans le Martirio de san Lorenzo contre Decius, ou déjà dans l’affrontement entre le roi et Domingo de Silos, comme si le monde rural et religieux cherchait à se défendre contre des forces seigneuriales. Mais ce thème du châtiment doit beaucoup à certaines traditions bibliques, en accord avec l’image d’un Dieu conçu par les hommes à leur image : le Dieu de justice des Psaumes (94,1), Dieu des vengeances, juge de la terre, qui se lève contre les méchants, qui siège contre les malfaisants et retourne contre eux leurs méfaits, le Dieu qui fait triompher la foi (Job, 19, 25), qui brandit l’épée, enflamme sa colère contre des fautes et sait trancher dans ses jugements.

Dans la mesure où l’on n’observe pas une augmentation du nombre des châtiments dans les miracles post mortem, force est de conclure que le public visé ou concerné devait être majoritairement occupé par la présentation de guérisons. A partir de cette constatation, doit-on envisager là un trait de religiosité populaire en raison de la sensibilité aux maladies seulement, ou ne peut-on pas se demander si les aspects vengeurs ne seraient pas aussi une caractéristique de “religion populaire”? Il est évident que la Vierge, dotée d’une force d’intervention et de protection hors du commun, est capable de punir avec la même violence. Qu’il s’agisse de serrer le col de Sïagrio (Miracle I, strophe 72), de précipiter dans les flammes infernales le père de l’enfant juif (Miracle XVI, str. 371-373) ou de punir un truand juif (Miracle XXIII, str. 695-696), elle inflige “por deservicio pena”, exprime sa rencura envers les méchants et les promet aux chaînes de l’Enfer (Milagros, str. 374-375). Ce pragmatisme à quatre termes (péché, châtiment, pénitence, délivrance), dont la conception  théologique inspirée du Deutéronome est nette dans le Livre des Juges, coopère au mystère du salut et laisse planer, outre une continuité littéraire, comme un sentiment particulier[19].

A travers l’exemple marial, le sacré apparaît presque aussi terrible, aussi redoutable même que bienfaisant. Il peut donc inspirer autant de crainte que de joie. Le sacré organise une sorte de terreur que Dieu, bibliquement le saint, contrebalance en attirant. Cette ambivalence, qui met l’accent sur la culpabilisation et semble prétendre à l’amélioration de la morale religieuse de clercs et des laïcs par un christianisme de la peur, n’en rend le miracle que plus charitable (Martirio de san Lorenzo, strophe 49). Cela tempère également l’impression d’automatisme relevée par ailleurs -automatisme des rétributions chargé précisément d’exprimer la volonté divine et de traduire une image radicalement différente, celle de l’acceptation du surnaturel et de la conversion- et engage à ne pas mésestimer les diaboliques forces adverses.

En effet, le sentiment laissé par la Providence est tel qu’on a parfois l’impression que rien ne peut venir la contrarier. Ses voies restent mystérieuses. On ne sait pas comment elle agit mais on sait qu’elle agit. Il y a comme un intégrisme de la Providence qui fait toujours la volonté de Dieu, même si Dieu ne semble pas toujours le vouloir. Les délais sont parfois variables. Dans la Vida de san Millán de la Cogolla, le résultat de l’exorcisme (str. 161-168) tarde un peu. Un autre (str. 181-198) réclame aussi un jeûne de trois jours et un affrontement avec le Diable. Dans la Vida de santo Domingo de Silos, il faut de longues neuvaines et autres quarantaines (str. 398-417) et plusieurs fois trois jours (str. 578-580) ou trois nuits (str. 538-548), voire une semaine (str. 557-570, 591-596, 679-699) pour -symbolisme mathématique mis à part- aboutir. Dans les Milagros de Nuestra Señora, la Vierge accourt souvent mais des miraculés doivent passer par la réintégration (Miracle IX, str. 228-234), d’autres attendre trente jours pour le salut de leurs âmes (Miracle X, str. 266-268), d’autres encore que cesse le courroux enflammé des cieux (Miracle XVIII, strophe 429), sans compter Théophile qui n’est tiré des griffes du Diable qu’au terme d’une délicate procédure. Mais l’essentiel réside précisément dans le caractère social de ce service d’assistance, souvent médicale, d’urgence : éviter l’exclusion de la sociabilité chrétienne et souligner son rôle d’intégration.

Aussi bien à travers les intercessions les plus pressantes, pour ne pas dire plus, de la Vierge, qu’en considérant les cas marqués par une issue partiellement punitive, la Providence se trouve toujours derrière le cours de  toutes les choses[20]. Cette omniprésence est accentuée par la remarquable concentration émilienne de sainteté locale.

Elle cristallise la vie spirituelle. Certes subalternes par rapport à la Vierge et à Dieu, les saints possèdent cependant tous la compétence capitale d’intercéder auprès de l’instance supérieure. Comme la divinité leur accorde le miracle demandé, le public retient que la sainteté raccourcit le cheminement de la requête, concentre les mérites actifs et condense l’Au-delà. C’est le saint qui guérit, tel un véritable médecin de famille. Cette présence du saint est en relation directe avec le rôle tenu par les reliques. Dès lors que son âme est partie vers Dieu, le corps du saint est présent par elles, avec elles et en elles. Il est le cuerpo glorioso (VSD, strophe 529) devenu de ce fait sancto (VSM, strophe 350; VSD, str. 574-575, 614, 618, 641) attaché désormais à jamais à son sepulcro (VSD, str. 542, 552-553, 564-565, 584-586, 604, 610, 623, 631, 689), à cette tierra devenue sienne (VSD, str. 543, 564, 575). Là réside le saint, là réside sa puissance, là réside sa vertu (VSD, strophe 673)[21]. Il peut donc exercer cette qualité parmi les humains tel un commerce de bienfaits. En ce sens, la charité du saint bienfaisant envers son prochain acquiert une dimension égale à la foi ou à l’espérance. Elle fait du saint vertueux qui fait du bien aux hommes leur véritable ami.

De là l’inspiration magique qui encourage à établir un contact direct, animiste, avec ces éléments porteurs de miracles post mortem qui ne sont que la suite logique de ceux accomplis in vita. En tant que saints surtout guérisseurs, les héros de Gonzalo de Berceo sont donc objets de rites spécifiques. La formulation des demandes passe, sinon par des vœux exprimés comme tels, du moins par des prières (VSM, str. 137-153, 154-156, 225-238; VSD, 557-570) parfois doublées de veillées (VSD, str. 549-556, 609-612), l’association des deux faisant merveille (VSD, str. 634). On conçoit aisément que la prière soit utilisée lorsque le déplacement au sanctuaire n’est pas possible, que les demandeurs soient prisonniers ou intransportables. Mais le pèlerinage, la romería (VSM, str. 187, 324), assorti de processions (VSD, str. 642, 672) est une garantie supplémentaire[22]. Alors et alors seulement peut commencer la clamor liturgique (VSD, str. 553, 594).

L’action du saint prend diverses formes. Les unes sont très directes, comme la prière (VSM, str. 148) et la bénédiction (VSM, str. 130, 136; MSL, str. 83), que l’on retrouve ensemble, assorties de confessions dans les cas d’exorcisme. L’attouchement par imposition (MSL, str. 48) ou par le très symbolique lavement des pieds et des mains (MSL, str. 53) est également pratiqué. Plus indirects sont les recours à l’eau bénite (VSD, str. 315-333, 335-350, 388-396, 463-470), à l’Eucharistie par le truchement de la célébration de la messe (VSM, str. 177-180, 181-198; VSD, str. 443, 578-580) et même de la grand-messe (VSD, str. 591-596), à des objets ou plus précisément des liquides qui ont bénéficié du contact avec le saint personnage (VSM, str. 338, où l’huile est conservée pour les guérisons ultérieures; VSM, str. 341 pour l’onction d’huile) et, enfin, à une pratique de l’incubation. On se couche dans le sanctuaire (VSD, str. 342-361). La fillette ne peut ressusciter — elle est là comme tous les autres dans cette espérance, in expecto ressurectionem — qu’une fois posée sur le sol (str. 350).

Au terme de ces opérations, le miraculé débiteur du saint guérisseur s’acquitte du service reçu par des actions de grâce (VSM, str. 330, 337, 459) ou des offrandes (VSM, str. 361; VSD, str. 396), voire un don pour ne citer que l’exemple des votos (VSM, strophe 479) qui renouvellent et entretiennent les promesses faites jadis au culte de Millán. Dans la mesure où la reconnaissance des mérites de l’intercesseur suffit, on ne recense pas que le lien de solidarité qui doit unir les “amigos e sennores” (VSM, str. 480) de Dieu tout-puissant. Le saint mort, à la puissance entretenue et réactivée par les demandes de médiation, est la cheville ouvrière et la courroie de transmission de cette sociabilité débitrice.

Dans son cercle plutôt restreint, centré généralement autour du lieu spécial où sont conservées les reliques, le miracle bercéen est une opération contrôlée chargée de résoudre des tensions. Le surnaturel matérialise le pouvoir et l’action invisible du saint par le témoignage de faits situés dans l’espace et dans le temps. Mais à travers son vocabulaire de patronage et de dépendance fort exigeant, ce surnaturel qui reflète les relations courantes propose de gagner une liberté d’action. Il concrétise globalement un abstrait sacré, sans renvoyer à des catégories distinctes telles que le prodigieux ou le magique[23], si ce n’est dans le phénomène des visions.

Outre qu’il illustre une catéchèse, le saint suscite et recueille la faveur du public. Pareil phénomène pourrait aussi contribuer à expliquer un certain délai dans l’accomplissement des miracles. La plupart du temps presque instantané, surtout du vivant du saint, le miracle est parfois un peu plus lent à se manifester post mortem, comme on l’a vu avec les exemples de la Vida de santo Domingo de Silos. Si quelques jours d’attente — avec la symbolique du chiffre, trois peut être considéré comme un laps de temps des plus courts — peuvent être éventuellement rapprochés de certains délais compatibles avec la rémission de certaines scléroses, ce délai peut être dû aussi à la possibilité de rester plus longuement auprès des reliques. De cette relation plus assidue avec le saint, la réussite de sa contribution ressortira plus nettement encore. En outre, des séjours prolongés pouvaient correspondre à des célébrations de fêtes ou à la tenue de chantiers, toutes occasions de catalyser toujours davantage les bonnes volontés.

Il serait fort audacieux de vouloir tirer de ces considérations des conclusions sur la pratique liturgique réelle, ou sur le degré de superstition qu’il pourrait y avoir à utiliser, comme par exemple dans les Milagros de Nuestra Señora, le corporel contre les incendies. Au reste, peu importe si les ingrédients de la spiritualité et de la sociabilité sont plus ou moins purs puisque c’est leur alchimie qui est miraculeuse. Si de “vrais” miracles ont eu lieu au monastère de San Millán de la Cogolla, celui qui retient l’attention ici est le miracle de l’écriture. Présent dans toute une série d’expressions telles que “fizieron en escripto meter toda la cosa” (Milagros, str. 302) ou “el precioso milagro non cadió en oblido” (Milagros, str. 328), il se projette un peu plus loin encore : “quando fuere contando mejor lo creeremos” (Milagros, str. 377). C’est le miracle de la foi de Gonzalo de Berceo et celui de son art qui entend chanter de la Vierge

los sus sanctos miraclos grandes e principales,
los quales organamos ennas fiestas cabdales
(Milagros, str. 43)

L’examen des miracles rapportés par Gonzalo de Berceo a montré à quel point d’autres noyaux de signification étaient intimement liés : maladie, mort, sainteté...[24] À cet égard les saints bercéens — qui peuvent paraître mineurs face à saint Jacques le Majeur — apparaissent moins “froids”, moins figés dans le panthéon paysan d’une région isolée qu’on pourrait le penser[25]. Dans les efforts émiliens pour que la Rioja rivalise avec la Galice, selon les avatars des politiques régionales, les saints de Gonzalo de Berceo évoluent vers une certaine modernité. Même le succès de Santo Domingo de la Calzada face à San Millán  de la Cogolla constitue, a contrario, un exemple de ces mouvements. Il est vraisemblable que, peut-être à cause d’un blocage aristocratique, le culte des saints “populaires” se soit développé plus lentement en Espagne. Plus humbles, moins prestigieux que d’autres, suivant la voie du renoncement et de l’ascèse, jusqu’à la réclusion avec l’exemple féminin de Oria, les saints bercéens représentent d’abord la dimension locale d’une sainteté sans doute moins vécue que perçue en fonction de certains milieux de dévotion et relayée par une collectivité et un poète dont les principales spécificités ont été signalées. Voilà qui devrait relancer l’étude des destinataires de ces productions et l’orienter non tant vers la lecture privée d’un moine dans sa cellule ou d’un clerc — mais, après tout, cela n’aurait-il pas pu être le cas de Gonzalo de Berceo face à ses sources latines? — que vers des lectures publiques aux destinations multiples : chapitres, réfectoires, ateliers monastiques, occasions liturgiques, homilétiques ou festives pour les publics mixtes des sermons et des panégyriques.

L’étude des adjectifs dont sont couverts les saints chez Gonzalo de Berceo montrerait aussi dans quel sens les modèles ont pu évoluer. On relève d’abord les pasteurs et les confesseurs que sont Millán et Domingo, des abbés. Puis vient la figure de la sainte Oria et enfin celle du martyr Lorenzo. Cette chronologie mériterait d’être mieux prise en considération. Elle confirme les évolutions depuis le haut Moyen Âge espagnol et prolonge les observations que l’on peut faire à partir d’autres vies de saints[26]. En ce qui concerne les miracles, la sainteté des héros est déjà reconnue in vita du fait notamment de leur vie exemplaire, d’un certain nombre de miracles et de la chronique de leur mort annoncée. Elle est confirmée post mortem de manière plutôt quantitative que qualitativement hiérarchisée dans la mesure où leur “carrière” monastique, dans le cas des abbés, ou leur statut de recluse ou de martyr sont acquis auparavant. Mais il n’en reste pas moins possible d’observer une certaine hiérarchie de miracles à partir des Milagros de Nuestra Señora qui culminent avec le difficile cas de Théophile.

57La prise en compte de la périodisation des œuvres de Gonzalo de Berceo peut renouveler certaines analyses. Elle pourrait également permettre de suivre le passage d’un merveilleux thaumaturgique (Vida de san Millán de la Cogolla, Vida de santo Domingo de Silos) vers un merveilleux davantage biographique (Poema de santa Oria, Martirio de san Lorenzo). Doit-on déceler là comme l’évolution d’un code sensoriel comportant moins d’affectivité et plus de rationalité ou la marque d’une vague lassitude dans la surenchère des perfections? S’agit-il là d’une tendance générale qui laisserait plutôt ce qui est  de l’ordre du thaumaturgique aux “grands” saints et accorderait le reste aux bienheureuses figures locales, d’où la revendication de la tête de ce deuxième peloton pour Lorenzo (“Sacados los apóstols qe tienen mayor grado”, MSL, str. 19)? Ou bien encore doit-on enregistrer un penchant pour l’enquête sur les vertus ascétiques et morales, par exemple cordura, caridat et discretion pour citer quelques notions appliquées au même saint homme et sur lesquelles une mentalité religieuse commune à une piété laïque et cléricale pourrait s’élaborer? Devrait-on penser que, le temps passant, du roman vers le gothique, la protection de l’individu contre les dangers du monde passe par de nouvelles formes? Les regroupements restent homogènes — ici les saints locaux sont des confesseurs — mais on souligne leurs affinités. Les visions de sainte Oria et le martyre de Lorenzo sont autant de cercles, celui des vierges, celui des martyrs, qui proposent une hiérarchisation nouvelle, jugée plus fonctionnelle. Gonzalo de Berceo, qui exerce cette recomposition avec une conviction et une ampleur de vue indubitables, offre ainsi le spectacle d’un organisme et de son harmonie renouvelée.

La conservation d’un langage festif comme vecteur de ces discours édifiants, qui se superpose à des restes de standardisation issus d’hagiographies antérieures, ne rend pas les observations évidentes. Certes, les clercs qui méditent sur la vie des saints peuvent prendre conscience de leurs propres insuffisances et les laïcs rester béats d’admiration devant les manifestations de la grandeur divine. Il semble pourtant que de nouvelles associations soient privilégiées. Ainsi, celle qui unit l’imaginaire et l’exemplaire sous les traits de sainte Oria, le caractère merveilleux des songes se drapant dans les plis d’un rationnel sacré. Avec le Martirio de san Lorenzo, le fantastique se trouve apparenté au possible d’une manière relativement neuve elle aussi. Enfin, même si l’aspect pastoral largement redevable aux Cisterciens et aux Mendiants n’est pas purement et simplement oublié et si la persistance des modes de représentation du surnaturel est manifeste, ils paraissent s’estomper au profit d’une cristallisation sur de nouveaux éléments que l’on remarquera davantage en masse au siècle suivant.

C’est le cas par exemple du thème de la virginité qui sert de pivot au Poema de santa Oria — peut-être redevable en partie à une augmentation du nombre de femmes célibataires — ou de la tendance à l’ascétisme et à l’intériorisation, comme dédoublée par l’emmurement. Dans sa lutte contre l’éternelle mesure du temps et son choix de l’éternité contre l’instant, il est permis de se demander si Oria, qui s’enferme comme pour se défendre du mal, n’exprime pas aussi une angoisse spécifique, peut-être symptomatique de l’émilianisme, face à une certaine ouverture au monde. Ces pistes, comme on peut le signaler à propos du Libro de Apolonio dans le mester de clerecía, permettraient déjà de suivre l’humanisation du divin depuis l’intérieur des récits de Gonzalo de Berceo.

On assiste certainement à un approfondissement des représentations. Les histoires pathétiques, émouvantes et didactiques, révélatrices et sapientielles, usent par nécessité d’une distribution temporelle individuelle et terrestre inéluctable car, la plupart du temps, les vies de saints bercéennes diffusent des idées assez rudimentaires sur la vie de l’Au-delà. Aux saintes exceptions près, espère-t-on pour l’âme une véritable survie ? La question de savoir si l’âme parvient au royaume de Dieu au moment de la mort ou bien du Jugement, lorsque le corps est alors autorisé à s’unir avec elle, est sensible dans les Signos (str. 52-53). Il faut attendre véritablement le Poema de santa Oria pour apprécier comment, après la mort, l’être humain ne devient pas une ombre mais, tout au contraire, conserve sa consistance, son activité, sa mémoire, sa capacité à louer Dieu et à ne pas être oublié de lui.

L’importance du rôle des évêques et des fondations religieuses reste essentielle dans le recrutement des saints autochtones. Il suffit de rappeler le nom de Braulio, évêque de Saragosse et premier “impresario” du culte de Millán, puis de renvoyer à l’histoire du monastère émilien pour s’en convaincre. Mais le modèle du saint thaumaturge n’est pas le seul puisque, comme on le constate à travers l’exemple édifiant de Oria, la sainteté ne s’évalue pas obligatoirement toujours en fonction du miracle. Il n’est finalement qu’un signe, non des moindres certes, qui attire l’attention sur la faveur en laquelle Dieu tient sa sainte créature. Cette condition peut aussi être atteinte par la mort au supplice dans le martyre ou par la pratique de ce qui est juste. En fait, seule importe la sainteté[27].

À son échelle, Gonzalo de Berceo élabore une “histoire sainte” qui célèbre, en transcendant les hauts faits des saints de Rioja, les “gestes” de Dieu parmi les hommes. Il n’est pas interdit de voir là comme une préhistoire d’une conscience régionale — d’une communauté autonome — qui sélectionnerait, parmi les provinciaux de la Rioja, des valeurs sûres et prétendrait avec elles faire aussi bien que toutes les capitales, et même que Rome si l’on songe à Lorenzo. En ce sens, à San Millán de la Cogolla, le miracle serait comme l’incarnation de l’ambition du monastère.

Le poète propose donc l’interprétation croyante qui signale, à ses yeux, la présence et la réalité de l’action divine. Dans cette littérature piétiste édifiante, tout n’est ainsi que pure manifestation et parfait accomplissement des desseins de Dieu. Le poète, héritier là encore du Deutéronome (12, 1-13), affirme sans relâche l’intervention spéciale, extraordinaire et continue d’un seul Dieu en un  seul lieu de culte. Hors de cette sphère, tout est profane. En fait, rien n’est profane puisque tout ce qui est en rapport avec la divinité entre dans son domaine et participe à sa sainteté. Les saints, précisément, sont les élus, les figures choisies, les héros distingués de cette alliance. Ils saturent l’espace bercéen, absorbent toute chose et livrent de la sorte, par effet de transparence, la toute-puissance divine. Leur compétence est une valeur en même temps qu’un monopole professionnel — et les clercs se veulent à leur image. Ils montrent du geste, ils démontrent la plénitude d’une puissance intelligible, ils éternisent la pensée et le pouvoir. C’est ainsi qu’il faut comprendre comment le sort du monastère de San Millán de la Cogolla est une préoccupation fondamentale d’ordre religieux.

Par-delà les différences, notamment linguistiques, que leur titre même traduit, les Cantigas de Santa María pourraient inciter à quelque prochain rapprochement avec certaines productions de Gonzalo de Berceo[28]. Une dizaine d’années après le septième centenaire de la mort du monarque et la publication des principaux volumes commémoratifs[29], les analyses ne cessent de mettre l’accent sur les spécificités des Cantigas. Dans ses chansons d’éloge de Notre Dame, ponctuées de fêtes mariales et de miracles, l’hommage du vassal et l’hymne du roi chrétien se teintent, sans doute sous l’effet de sources plus variées, de nuances diverses telles que celle de l’amour courtois, sans doute plus sensibles que chez le poète riojan[30]. L’influence musicale est, elle aussi, nettement plus perceptible ainsi que les relations entre texte verbal et texte pictural. L’étude des miniatures et des vers montre le rôle fondamental du graphisme dans la lecture des Cantigas[31].

En termes cultuels, l’efficacité du culte marial semble confirmée, jusque dans des proses latines de Gil de Zamora. Entre l’état et le marché — entendons par état celui de la position d’écriture comme on pourrait le dire du sanctuaire émilien et par marché l’aspiration des œuvres littéraires à un estimable succès —, Alphonse X paraît relativement plus tolérant que Gonzalo de Berceo vis-à-vis des incroyants et se plaît également à mettre en scène des miracles “personnalisés” : guérison d’une affection, sauvetage d’un serviteur menacé de noyade ou pêche miraculeuse pour des invités à Séville.

Chez Gonzalo de Berceo, Dieu, être par définition incréé et absolument inaccessible, le mystère divin et sa transcendance restent séparés, différents, enveloppés dans une majesté qui, en même temps, effraie l’homme et l’attire dans son secret. Médiateur spécifique — religieux, politique, militaire ou social —, le saint bercéen élève la vie sociale vers un idéal fait de préceptes moraux et, au-delà, de pratiques légalistes. Via les rétributions temporelles, il propose une théorie rassurante pour les problèmes de la vie et forme une conscience religieuse dans l’absolue soumission et la fidélité du service. Tel est aussi, par-delà sa valeur expiatoire et la Rédemption d’un Christ sage, mesuré, arbitre et juge qui mérite son rôle de chef à l’aune des épreuves subies, le sens du Sacrifice : la dépendance envers Dieu et la recherche d’une communion par le partage. Tel peut être le sens même de l’écriture de Gonzalo de Berceo :

Offre à Dieu un sacrifice de louange
et accomplis tes vœux au Très-Haut;
puis invoque-moi au jour de détresse,
je te délivrerai et tu me glorifieras.
Psaume L, 14-15.

Ainsi, fonction littéraire et fonction sociale œuvrent simultanément[32]. D’abord pragmatique, la fonction littéraire de l’intervention du surnaturel sert le récit par un effet de suspension qui produit l’émotion du public. Ensuite sémantique, le surnaturel se désigne lui-même comme tel, faisant savoir que les miracles de la sainte figure sont inclus dans sa vie. Syntaxique enfin, le surnaturel permet de construire une part du développement du récit et de décrire son univers. Socialement, ces utilisations peuvent permettre de franchir certaines limites : alternative à la réalité médiévale ou évasion d’un autre ordre; soustraction du texte à la loi commune des hommes, voire divine avec la préférence souvent accordée à la Vierge; recours au domaine des cieux pour traiter certains sujets éventuellement délicats comme celui de l’enfant juif.

À travers les modalités du “faire-croire” et les formes de la croyance, dans l’esthétique de cette poétique, quelle est la part de la liberté du sujet ? Membre d’une rare élite, le saint est perfection, harmonie, exception à l’image de son Créateur. Il transcende donc la nature en poussant les sentiments les plus familiers jusqu’au dernier point et, en retrouvant son origine, sa destination et son sens, il la “surnaturalise”. Sa sainteté devient mythique.

Les événements rapportés par Gonzalo de Berceo dans leur déroulement passé valent simultanément pour le présent et l’avenir. Si l’Enfer faisait peur à tous ou si le Paradis faisait envie à tous, il n’y aurait plus de péché. Avec son efficacité permanente, porté par l’amour des lettres et le désir de Dieu — ou inversement[33] —, et comme le moyen jouissif d’exorciser l’angoisse par le récit assez romanesque, presque aventureux, souvent excitant et toujours fantastique, le miracle devient, selon la lumineuse formule de Michelet, “l’éclair de l’éternité”.

 

 

Notes

[1]  “Preliminares a un estudio de la religión popular en Gonzalo de Berceo”, Homenaje a Pedro Sáinz Rodríguez, Madrid, C.S.I.C. - F.U.E., t. 2 : Estudios de lengua y literatura, 1986, p. 657-666.

[2]  Parmi les études les plus récentes, B. Darbord, “Los Milagros de Nuestra Señora de Berceo : rhétorique et poésie”, Ibérica, 1 (1977), p. 71-79 ; M. Á. Garrido Gallardo, “Una clave interpretativa para tres recursos literarios fundamentales en los Milagros de Nuestra Señora : la alegoría, el protagonismo absoluto y el final feliz”, Revista de Filología Española, LIX (1977), p. 279-284 ; H. M. Wilkins, “Dramatic design in Berceo’s Milagros de Nuestra Señora”, Hispanic Studies in Honor of Alan D. Deyermond. A North American Tribute, Madison, The Hispanic Seminary of Medieval Studies, 1986, p. 309-324 ; L. Beltrán, “Between poetry and the play : possible traces of a lost theatre (Milagros de la Virgen)”, Los hallazgos de la lectura : estudio dedicado a Miguel Enguídanos, Madrid, Porrúa Turanzas, 1989, p. 11-27.

[3]  On peut citer, à titre d’exemples : J. Albert Galera, Estructura funcional de los Milagros de Nuestra Señora, Logroño, Instituto de Estudios Riojanos, 1987 ; M. Álvarez Álvarez, El sistema verbal en la obra de Gonzalo de Berceo : descripción computadorizadora, Bilbao, Universidad de Deusto, 1989 ; H. Boreland, “Tipology in Berceo’s Milagros : the Judiezno and the Abadesapreñada”, Bulletin of Hispanic Studies, LX, 1 (1983), p. 15-29 ; R. Burkard, “Two types of salvation in Berceo’s Milagros de Nuestra Señora”, Hispanic Journal, IX, 2 (1988), p. 23-35 ; F. Carrasco, “Un modelo generativo para Milagros de Nuestra Señora, de Berceo”, Actas del III Congreso de Semiótica, Granada, Universidad, 1990, p. 168-182 ; S. Kantor, “Semiotic analysis of a medieval miracle : Gonzalo de Berceo’s The fornicating sexton”, Poetics Today, 4 (1983), p. 723-771.

[4]  A. Varaschin, “Les ivoires de San Millán de la Cogolla”, Archeologia, 135 (1979), p. 12-17.

[5]  Pour l’hagiographie dans le domaine espagnol : F. Baños Vallejo, La hagiografía como género literario en la Edad Media. Tipología de doce Vidas individuales castellanas, Oviedo, Departamento de Filología Española, 1989 ; W. A. Christian, Local Religion in Sixteenth Century Spain, Princeton, Princeton University Press, 1981 et Apparitions in Late Medieval and Renaissance Spain, Princeton, Princeton University Press, 1981 ; Saints and their Authors : Studies in Medieval Hispanic Hagiography in Honor of John K. Walsh, edited by Jane E. Conolly, Alan Deyermond and Brian Dutton, Madison, The Hispanic Seminary of Medieval Studies, 1990 ; E. J. Ardemagni, “Hagiography in thirteenth-century Spain : intertextual reworkings”, Romance Languages Annual, 2 (1990), p. 313-316 traite de la Vida de santo Domingo de Silos.

[6]  Dans le domaine bercéen, Jane E. Ackerman, “The Theme of Mary’s Power in the Milagros de Nuestra Señora”, Journal of Hispanic Philology, VIII, 1 (1983), p. 17-31.

[7]  P. V. Beterous, “Miracles mariaux en rapport avec les Pyrénées d’après les collections du xiiie siècle dans la péninsule Ibérique”, Actas del VII Congreso Internacional de Estudios Pirenaicos (Seo de Urgel, 1974), Jaca, Instituto de Estudios Pirenaicos, 1976, 7, p. 29-37 ; P. A. García Abad, “Connotaciones histórico-geográficas, sociales, religiosas, etc. en el Milagro XXV de Berceo”, Studium Legionense, 28 (1987), p. 37-76.

[8]  “Le temps et l’espace de Gonzalo de Berceo”, Les langues néo-latines, 227 (1978), p. 5-33.

[9]  Ce ne sont là que quelques exemples. Voir le Dictionnaire des noms propres établi pour les Mil. par R. Pellen, tome II, p. 337-376 de son Étude linguistique et index lemmatisé..., Annexes des C.L.H.M., vol. 9, 1993. Considérant les exemples extérieurs à l’Espagne, Isabel Uría Maqua estime que Gonzalo de Berceo fait plutôt œuvre universaliste avec ses poèmes consacrés à la Vierge et n’attire pas directement à San Millán de la Cogolla. Le débat reste ouvert.

[10]  A. Varaschin, “Archéologie et littérature. L’exemple de la Rioja médiévale. San Millán de la Cogolla et Santa María de Cañas”, Les langues néo-latines, 271 (1989), p. 5-21.

[11]  J. A. Ruiz Domínguez, La historia de la salvación en la obra de Gonzalo de Berceo, Logroño, Instituto de Estudios Riojanos, 1990 et les “Observaciones...” à cet ouvrage faites par O. García de la FuenteAnalecta Malacitana, 13 (1990), p. 229-259 ; M. J. Kelley, “Spinning Virgin yarns : narrative, miracles and salvation in Gonzalo de Berceo’s Milagros de Nuestra Señora”, Hispania, 74 (1991), p. 814-823.

[12]  D’autres considérations de méthode dans deux articles de la Revista de Literatura medieval, V (1993) : A. M. Mussons, “Prodigios y maravillas en la épica”, p. 233-245 et M. Brea, “Milagros prodigiosos y hechos maravillosos en las Cantigas de Santa María”, p. 47-61 dont les pages 48-51 notamment nous dispensent ici de maints rappels.

[13] P.-A. Sigal, Les marcheurs de Dieu. Pèlerinages et pèlerins au Moyen Âge, Paris, A. Colin, 1974 et surtout L’Homme et le miracle dans la France médiévale (xie-xiie siècle), Paris, Le Cerf, 1985. La capacité spécifique du saint de Silos serait-elle un antécédent à l’activité des Mendiants ? Sa vertu libératrice, affichée dès la strophe 3 de sa Vida, est signalée dans le Chronicon Mundi de Luc de Tuy achevé vers 1226.

[14]  D. Kuntsmann, Vierge et merveille. Les miracles de Notre-Dame narratifs au Moyen Âge, Paris, Seuil, 1981.

[15] Dans un autre contexte encore plus éclairant, J. Chiffoleau, La comptabilité de l’Au-delà. Les hommes, la mort et la religion dans la région d’Avignon à la fin du Moyen Âge (vers 1320-vers 1480), Palais Farnèse, École française de Rome, 1980.

[16]  S. M. Farcasiu, “The Exegesis and Iconography of Vision in Gonzalo de Berceo’s Vida de Santa Oria”, Speculum, 61 (1986), p. 305-329.

[17] J. K. Walsh, “The Other World in Berceo’s Vida de Santa Oria”, Hispanic Studies in Honor of Alan D. Deyermond. A North American Tribute, Madison, The Hispanic Seminary of Medieval Studies, 1986, p. 291-307. H. G. Cadenas a étudié La visión onírica en “la Vida de Santo Domingo de Silos” de Gonzalo de Berceo, Irvine, thèse de l’Université de Californie, 1987.

[18]  J. Le Goff, La civilisation de l’Occident médiéval, Paris, Arthaud, 1977. Selon lui, le miracle aurait même tendance à se diluer du fait de son caractère non-imprévisible.

[19]  Sur la notion de secret dans le miracle et le salut, je renvoie à ma conférence du 14 mars 1994 prononcée au Séminaire du Centre de Recherche sur l’Espagne Médiévale de l’Université Paris III à l’invitation de Michel Garcia, dont le texte est reproduit dans mon Habilitation à diriger des recherches, Lyon, Lyon II, 1994, p. 151-177.

[20]  J. Montoya Martínez, “El servicio amoroso, criterio unificador de los Milagros de Nuestra Señora”, Estudios Románicos dedicados al profesor Andrés Soria Ortega, Granada, Universidad, 1985, p. 459-469 ; J. Gimeno Casalduero, El Misterio de la Redención y la cultura medieval : el “Poema de Mio Cid” y los “Loores” de Berceo, Murcia, Academia Alfonso X el Sabio, 1988 ; J. Le Goff, La Naissance du Purgatoire, Paris, Gallimard, 1981.

[21]  O. C. Suszynski, The Hagiographic-Thaumaturgic art of Gonzalo de Berceo “Vida de Santo Domingo de Silos”, Barcelona, Hispam, 1976 ; F. Baños Vallejo, “Lo sobrenatural en la Vida de Santo Domingo de Berceo”, in Berceo, 110-111 (1986), p. 21-32.

[22]  E. M. Gerli, “Poet and Pilgrim : Discourse, Language, Imagery and Audience in Berceo’s Milagros de Nuestra Señora, Hispanic Medieval Studies in Honor of Samuel G. Armistead, Madison, The Hispanic Seminary of Medieval Studies, 1992, p. 131-151.

[23]  La question des définitions dans la perception du réel n’est pas toujours éclaircie par les spécialistes : merveilleux, surnaturel, miraculeux, magique, vraisemblable, fabuleux, démesuré, étrange, imaginaire... Au bout du compte, tous s’accordent à dire que le pouvoir divin “rationalise” la merveille dans le miracle. Quant à la notion de “surnaturel chrétien” que J. Le Goff a élaborée sur le mirabilis pré-chrétien, elle a le mérite de montrer que le miraculosus est revenu en grâce à partir du xiie siècle. Sous l’effet d’une plus grande tolérance cléricale, cette irruption dans la littérature et la culture érudite, ou aristocratique, pouvait contrebalancer l’attrait pour la culture orale où le merveilleux faisait merveille auprès des nobles. Toutefois, il subsiste un reste du magicus, jugé paganiste entre le ve et le xie siècle, dans le zeste d’imprévisibilité, un brin maléfique parfois, des interventions. Nous rejoignons en cela les remarques de A. M. Mussons et M. Brea dans leurs articles déjà cités du numéro de la Revista de Literatura Medieval.

[24]  J. Saugnieux, “Le vocabulaire de la mort dans l’Espagne du xiiie siècle d’après l’œuvre de Berceo”, Les mots et les livres. Études d’histoire culturelle, Lyon, P.U.L.-C.N.R.S., 1986, p. 24-50.

[25]  A. Vauchez, La Sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge, Palais Farnèse, École française de Rome, 1981 et plus récemment, “L’Église, le saint et l’imposteur”, L’Histoire, 167 (1993), p. 6-13.

[26]  M. C. Díaz y Díaz, “Passionnaires, légendiers et compilations hagiographiques dans le haut Moyen Âge espagnol”, Hagiographie, cultures et sociétés, ive-xiie siècles, Actes du colloque (Nanterre-Paris, 2-5 mai 1979) du Centre de Recherches sur l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge, Paris, Études Augustiniennes, 1981, p. 49-60 où il cite la vie de saint Millán écrite par Braulio. Voir aussi C. W. Bynum, “Did the Twelfth Century discover the Individual ?”, rééd. in Jesus as Mother. Studies in the Spirituality of the High Middle Ages, Berkeley-Los Angeles-Londres, University of California Press, 1982.

[27]  S. Boesch Gajano, “Il culto dei santi : filologia, antropologia e storia”, Studi Storici, 1 (1982), p. 119-136 ; P. Brown, The Cult of Saints. Its Rise and Function in Latin Christianity, Chicago, The University of Chicago Press, 1981 ; J.-Cl. Schmitt, Le Saint Lévrier, Guinefort, guérisseur d’enfants depuis le xiiie siècle, Paris, Flammarion, 1979 et “La fabrique des saints”, in Annales ESC, 2 (1984), p. 286-300 ; S. Wilson (éd.), Saints and their Cults. Studies in Religious Sociology, Folklore and History, Cambridge, Cambridge University Press, 1983 ; G. Zarri (éd.), Finzione e Santità tra Medioevo e età Moderna, Turin, Rosenberg et Sellier, 1991 ; Les fonctions des saints dans le monde occidental (iiie-xiiie siècle), Palais Farnèse, École française de Rome, 1991.

[28]  Une étude des relations avec d’autres textes parmi lesquels les Milagros de Nuestra Señora a été amorcée : S. R. Heller, The characterization of the Virgin Mary in four 13th century narrative collections of Miracles : Jacobus Voragine’s “Legenda aurea”, Gonzalo de Berceo’s “Milagrosde Nuestra Señora”, Gautier de Coinci’s “Miracles de Nostre Dame” and Alfonso el Sabio’s “Cantigas de Santa María”, thèse de l’Université de New York, 1975 ; J. Chierici, “Il miracoli in Jacopo da Varazze, Gonzalo de Berceo e Dante”, Alighieri, 19 (1978), p. 18-27 ; J. E. Keller, “On the morality of Berceo, Alfonso X, Don Juan Manuel and Juan Ruiz”, in Homenaje a don Agapito Rey, Bloomington, University of Indiana, 1979, p. 117-130 ainsi que Las narraciones breves piadosas versificadas en el castellano y gallego del Medioevo de Berceo a Alfonso X, Madrid, Alcalá, 1987 ; F. Mundi Pedret et A. Sáiz Ripoll, Las prosificaciones de las cantigas de Alfonso X el Sabio, Barcelona, P. P. U.,  1987. Plus récemment, M. A. Diz, “Berceo y Alfonso : la historia de la abadesa en cinta”, in Bulletin of the Cantigueiros de Santa María, 5 (1993), p. 85-96 et E. FidalgoFrancisco, Gautier, Berceo, Alfonso X : estructuras narrativas en la literatura románica medieval de caracter mariano, Santiago de Compostela, Servicio de publicaciones e Intercambio Científico, 1993.

[29]  Il s’agit essentiellement des Actas del Congreso Internacional sobre la Lengua y la Literatura en Tiempos de Alfonso X (Murcia, 1984), Murcia, Universidad, 1985 ; Estudios alfonsíes : lexicografía, lírica, estética y política de Alfonso X el Sabio. Jornadas del VII centenario de la muerte de Alfonso X (1284-1984), Granada, Universidad, 1985 ; Studies on the “Cantigas de Santa María” : Art, Music and Poetry..., Madison, The Hispanic Seminary of Medieval Studies, 1987.

[30]  S. Sturm, “The Presentation of the Virgin in the Cantigas de Santa María”, Philological Quarterly, 69 (1970), p. 1-7.

[31]  R. Cómez Ramos, Las empresas artísticas de Alfonso el Sabio, Sevilla, Diputación Provincial, 1979 et surtout E. J. Keller et R. P. Kinkade, Iconography in Medieval Spanish Literature, Lexington, University Press of Kentucky, 1984. En souscrivant à l’approche de J.-Cl. Schmitt, “Le miroir du canoniste. Les images et le texte dans un manuscrit médiéval”, Annales ESC, 6 (1993), p. 1471-1495, on pourrait mener d’autres enquêtes.

[32]  A. Varaschin, “Le clerc sur le métier”, Relations entre identités culturelles : masses et élites, Paris, colloque du G.R.I.M.E.S.R.E.P. des 14-16 mars 1996, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1998, p. 53-63.

[33]  A. Varaschin, “Para pensar el mester de clerecía”, Homenaje a Horacio Santiago-Otero, Madrid, C.S.I.C., à paraître.

 

 

 

Le miracle selon Gonzalo de Berceo

 

 

 

Alain Varaschin
Professeur de Lettres supérieures,
habilité à diriger des recherches

Atalaya, n° 9, Administrer et convaincre au Moyen Âge, octobre 1998